mardi 29 mai 2007

Brèves d'après campagne

Je ne vous ai, chers lecteurs, que peu écrit depuis l'avènement de Sarkozy Ier. Un peu de calme après la tempête, du temps pour reprendre ses esprits... et d'ailleurs, vous n'aurez vraissemblablement pas grand chose à attendre de moi d'ici les législatives.

Sous Sarkozy Ier, donc, c'est d'abord un calme relatif : pas encore grand chose à se mettre sous la dent, les arbitrages ne sont pas faits ; or, c'est là qu'on sera fixé sur la véritable nature du sarkozysme. L'énergie est au rendez-vous de la nouvelle présidence, qui réussit fort bien à imposer un nouveau style, du moins à la vendre à la gent médiatique : oui, notre Président fait son jogging, et notre premier ministre également, à ses côtés. Alors certes, Villepin courait le maraton, mais qu'importe ! toute nouvelle équipe a d'abord la tentation d'instruire le procès en ringardisation de sa devancière, ça ne mange pas de pain, et est budgétairement indolore.

Budgétairement indolore, les projets fiscaux de Nicolas Sarkozy ne le sont certes pas. Cette déductibilité des intérêts des emprunts immobiliers m'apparaît d'ailleurs comme une vaste fumisterie, au mieux sans aucun effet sur la croissance, au pire susceptible d'encourager artificiellement la hausse des prix de l'immobilier alors qu'une baisse aurait été salutaire, justement, à ceux qui ne sont pas propriétaire. Et quelle lisibilité accrue pour la feuille d'imposition : que les fiscalistes se rassurent, ils ne vont pas manquer de travail. Sérieusement, l'un des maux dont souffre l'impôt en France est la multiplication des niches fiscales, ainsi que du manque d'évaluation des résultats des divers allègements de charges successifs : les économistes prônent la mise en palce d'impôts à faible taux mais à assiette élargie... visiblement, on ne se dirige pas dans ce sens. Et quant à l'objectif de réduction de la dette, il passe au second plan : que l'on se laisse des marges de manoeuvre budgétaire pour relancer la croissance, voilà qui devrait ravir les keynésiens, mais la stratégie est risquée : nous serions déjà à la frontière d'efficacité des politiques keynésienne, et la réduction de la dette un impératif maintenant largement reconnu.

L'ouverture n'a, de fait, aucun sens politique : on s'ouvre aux hommes, pas aux idées, et la majroité est bien sarkozyste. Le débauchage de Kouchner, de Jouyet, et de Martin Hirsch pourra faire regretter à la gauche de n'avoir pas su mieux les utiliser, il renvoit en tout cas le PS à ses propres turpitudes et rend, définitivement, hors d'usage le Tout Sauf Sarko. Après, le fait que Nicolas Sarkozy ait hésité entre Védrine et Kouchner est par contre une très mauvaise nouvelle, tant les deux hommes, certes socialistes, ont des conceptions radicalement opposées en matière de politique étrangère : une realpolitik sobre fondée sur la nation et le refus de se laisser embarquer dans les formules conceptuellement creuses du « nouvel ordre mondial », le droit d'ingérence formalisé chez Kouchner, apôtre de la société civile contre les Etats. Ce qui prouve bien que c'est la manoeuvre tactique qui est ici privilégiée : elle est belle, mais ça ne fait pas une politique.

Quant au PS, on y reviendra, je pense, longuement à partir de juin, mais c'est peu dire qu'il est dans un état pitoyable : la défaite, sans être une déroute, est sévère ; le parti et la candidate y ont, chacun à leur mesure, contribué, celui-ci davantage que celle-là... une Ségolène Royal, qui, d'ailleurs, est en train de réussir un invraissemblable pari, celui de réécrire l'histoire. A peine battue, elle transformait sa défaite en promesse, oubliait qu'une majorité n'avait pas voté pour elle pour ne retenir que le « formidable élan », sur lequel elle espère capitaliser. Après tout, les plus belles histoires ne sont-elles pas fondées sur des mythes ? Là encore, comme chez Sarko, la manoeuvre est habile, chapeau... mais ça ne fait pas une ligne politique. Sarko, Ségo, même combat, la forme avant le fond ? Je n'ai rien dit de tel, notez bien !

Le PS, d'ailleurs, ne sera probablement pas laminé lors des législative, mais nous promet quand même des déchirements épiques pour l'après 17 juin. DSK a tiré trop tôt, et le statut de sainte de la candidate défaite, qui doit l'agacer terriblement, rend malaisée une prise de pouvoir de sa part. Et pourtant, plus que jamais, la logique politique voudrait un ticket DSK-Royal pour le PS. Tout ça s'annonce passionant.
J'ai hâte.

lundi 7 mai 2007

Tout refonder

Nicolas Sarkozy a gagné haut la main l’élection présidentielle, et sa victoire est loin d’être usurpée. Pour la première fois depuis 1974, le candidat de la majorité sortante est réélu. Pas d’alternance, donc, mais pourtant la promesse d’un renouveau, d’une rupture. C’est dire l’ampleur de l’échec du Parti socialiste dans sa volonté d’incarner le changement.

La victoire de Nicolas Sarkozy, c’est une victoire idéologique. Vainqueur dans les têtes avant de l’être dans les urnes, le candidat de l’UMP a effectué, durant 5 ans, un travail de rénovation de la droite qui l’a porté à sa victoire. On a beaucoup entendu, hier, l’expression de droite décomplexée. C’est par exemple, le sens de l’édito de Laurent Joffrin dans Libération, ou de l’interview de Jean-Marie Colombani dans le Monde. Et c’est vrai. L’histoire dira si ce moment droitier est destiné à se prolonger ou pas, mais il est certain que Nicolas Sarkozy a pu rassembler les droites. Toutes les droites. La droite bonapartiste, bien sûr : on l’a suffisamment dit sur ce blog, l’une des forces de Nicolas Sarkozy est bien son audience dans les milieux ouvriers, ceette relation transcendante qu’il entend (et parvient) à lier avec la « France d’en bas ». La droite orléaniste, également : la dimension libérale de NS, moins affirmée au fur et à mesure de l’avancement de la campagne, demeure une composante importante du programme UMP, et les puissances d’argent ne s’y sont pas trompé. Mais, nouveauté, la droite légitimiste aussi : s’il n’y a plus de contre-révolution au sens propre du terme contre les idéaux de 1789, le grand retour de l’ordre moral, le rabâchage du thème de l’autorité, la condamnation minutieuse de mai 68, font que le droite française est maintenant à même d’assumer crânement l’anathème idéologique envers la contre-culture et la nouvelle gauche. L’opprobre jetée sur la tradition légitimiste depuis Pétain est dissipé, et la droite revient, rassemblée, installer son héros à l’Elysée. Plus que De Gaulle, qui dut liquider la colonisation et devient la cible de la contre-révolution qui n’avait pas désarmé depuis Laval, mieux que Giscard, centriste de droite qui ne parvint jamais vraiment à amadouer les gaullistes, bien plus que Chirac, animal politique redoutable mais solitaire, braconnant sur les terres de la gauche pour parvenir à des victoires qu’il ne pût jamais digérer et convertir en conduite politique cohérente. La synthèse, comme toujours, est fragile. Mais, la victoire, elle, est éclatante.

Le Parti socialiste, lui, ne peut s’en prendre qu’à lui-même. Ce que Nicolas Sarkozy a fait durant 5 ans, le PS ne l’a même pas ébauché. Victoire à la Pyrrhus, le succès des régionales 2004 a été une malédiction pour un parti traumatisé, une bouée de sauvetage qui, au lieu d’être interprété comme un 21 avril à l’envers, donc un vote contre le gouvernement Raffarin, a servi d’alibi à la grande paresse intellectuelle du socialisme français. Celui-ci a du retard, beaucoup de retard. Il lui reste à prendre acte de beaucoup d’événements majeure : la chute du mur de Berlin, la disparition du communisme, la fin du marxisme, le triomphe idéologique du libéralisme, la disparition d’une classe moyenne homogène et d’ailleurs peut-être illusoire, la fin des grandes formes d’action collective, l’individualisation de la société, les mutations des formes d’organisation du travail et de la production, l’ouverture des frontières, le glissement à droite des ouvriers, l’émergence de nouvelles précarités, l’échec des méthodes traditionnelles du socialisme français à gérer la modernisation de l’économie française sans casse sociale, les nouvelles formes d’exclusion, etc. La doctrine actuelle du PS ne permet en rien de répondre à ces nouveaux défis. Il faut tout reconstruire, et il faut repartir de zéro.

Dans ce contexte, beaucoup dépendra de l’analyse qui sera portée sur la campagne de Ségolène Royal. Celle-ci n’est pas humiliée, mais nettement battue tout de même. Courageuse, pourtant, sa fin de campagne : une rénovation accélérée, en fait. Mais qui ne pouvait pas fonctionner, et pour cause : ce dont le PS a besoin, ce n’est pas de gagner en trompant, mais bien d’assumer sa pratique du pouvoir. Contre un candidat plus faible, Ségolène Royal aurait pu gagner. Mais sa victoire aurait ressemblé à celle de Chirac en 1995 : faute de s’appuyer sur un substrat idéologique suffisamment solide et sur un logiciel politique rénové, elle n’aurait probablement pas été à même de gouverner sereinement.

La défaite, pour le PS, est donc un mal pour un bien. Il y a du temps, maintenant, pour se poser les bonnes questions, en tête celle du libéralisme et de la pratique du pouvoir. La présence d’un Mouvement démocrate fort à sa droite devrait plutôt l’inciter à faire son Bad Godesberg qu’un nouvel Epinay, la tactique venant ici suppléer le nécessaire effort idéologique. Cette rénovation, pour le PS, ne pourra probablement pas se faire avec les mêmes têtes, au niveau du Parti surtout, le sort de la candidate étant plus flou. Gageons que les prochains mois, du côté de la rue de Solferino, seront agités. Mais pour pouvoir espérer gagner un jour, le PS doit aujourd’hui sortir de sa torpeur, cela veut dire, aussi, prendre des risques.

mardi 24 avril 2007

Le boulevard social-démocrate

Le centre sera absent du second tour de l'élection présidentielle. Mais, paradoxalement, l'élimination de François Bayrou offre, à compter d'aujourd'hui, un bouolevard à la sociale-démocratie. Un boulevard qui peut mener la gauche à la victoire, le Parti socialiste à la rénovation, et une équipe moderne à l'Elysée. Un boulevard qu'il n'appartient qu'à elle d'empreinter résolument.

Quelle est la situation, ce matin ? Le candidat de l'UMP a réussi son pari : à plus de 31 % des voix, il explose la base électorale de Jacques Chirac, et réincorpore dans le jeu républicain une partie des électeurs Le Pen. Il capte une grande partie de l'électorat ouvrier. Il est fort là où le sentiment de relégation est important (anciennes zones industrielles, monde rural en voie de désertification, etc.), là où les gens sont plutôt vieux (le sud de la France), là où ils sont plutôt (très) riches (ouest parisien, banlieue pavillonnaire). Mais pour réussi ce pari, Nicolas Sarkozy a brûlé ses vaisseaux. En droitisant son discours, il s'est aliéné une partie de l'électorat de la sphère d'influence de la droite libérale et du centre démocrate-chrétien. Ces électeurs peuvent lui manquer : rien ne dit qu'ils pardonneront à NS ses algarades sur le terrain sécuritaire, sa brutalité, son mépris des corps intermédiaires, sa suspicion envers l'appareil judiciaire, son peu de cas des droits de la défense, bref : tout ce qu'un vrai libéral ne saurait tolérer.

L'électorat de François Bayrou apparaît composé de plusieurs strates. D'une part, le fond démocrate-chrétien, les héritiers de Lecanuet, de Barre, dans une moindre mesure de VGE et Balladur. Ceux-ci ont un tropisme davantage tourné vers la droite. Si la logique du vote est majoritaire, ils iront vers l'UMP. Mais pas tous. Outre ceux qui ont été séduits par la dimension anti-système du candidat (pas tant que ça selon moi, voir notamment l'interview de Pascal Perrineau sur le Monde selon lequel la géographie du vote Bayrou met en lumière de grandes permanence avec le vote démocrate-chrétien des années 1950 aux 70s), beaucoup viennent de la gauche. Déçus par le retard idéologique du parti socialiste, qui peine selon eux à prendre acte de la chute du mur de Berlin, de la défaite du marxisme, de la mondialisation, etc., leur vote a pour ambition de peser sur le logiciel socialiste. Ces électeurs, lassés que l'extrême gauche occupe sur le terrain doctrinal un poids inversement proportionnel à sa crédibilité en tant que force de gouvernement ou même son poids électoral, fatigués d'être taxés de sociaux-traitres s'ils émettent une proposition économiquement raisonnable, ont trouvé dans Bayrou un moyen de pression. Ils ont gagné : aujourd'hui, ils constituent la vraie réserve de voix qu'il convient pour Ségolène Royal de conquérir.

Car si Ségolène Royal a fait un bon score, celui-ci n'est pas révolutionnaire : elle est forte là où la gauche est historiquement implantée, comme dans le Limousin et le Midi-Pyrénées, terres historiques d'implantation radicale puis socialiste. Alors que Nicolas Sarkozy a, lui, déjà dépassé les bases strictes des chasses gardées de la droite. On compare le score de SR à celui de François Mitterrand. Ce serait oublier que celui-ci disposait d'une réserve de 15 % à sa gauche. Autres temps, autres mœurs : c'est maintenant au centre qu'ils se trouvent.

Ainsi, Ségolène Royal doit faire un geste fort vers le centre, ne serait-ce que pour des raisons tactiques : le TSS (tout sauf Sarkozy) pourra fédérer l'extrême gauche et les plus à gauche de l'électorat de François Bayrou, mais cela ne sera pas suffisant pour gagner. Et même si ça l'était, pour quelle victoire ? Une alliance conjoncturelle de rejet ne donne pas de mandat pour gouverner, Jacques Chirac est bien placé pour le savoir, lui qui transforma ses 82 % en quinquennat de la déception. Non, définitivement, une victoire d'adhésion est plus souhaitable que jamais.

Pour des raisons idéologiques, enfin, une recomposition à gauche est souhaitable. Le PS, faute d'avoir opéré dans son discours les corrections nécessaires à une mise en adéquation de celui-ci avec sa pratique gouvernementale, vit dans une schizophrénie permanente. L'ambition et le remords, pour reprendre l'ouvrage magistral d'Alain Bergounioux et Gérard Grunberg. Difficile, dans ces conditions, de gouverner sereinement : la peur de trahir prédomine. Corollaire : le socialisme français a perdu beaucoup de son influence en Europe, s'il en a jamais eu. Et quand il s'agit de réécrire la directive Bolkestein (qui, pour le coup, est un texte majeur du point de vue économique), c'est le SPD qui s'y colle, le PS français, inaudible, assistant en spectateur. Influence 0, donc. Cette situation n'est pas insurmontable.

Pour toutes ces raisons, je pense que la sociale-démocratie bénéficie aujourd'hui d'un boulevard sans précédent en France. Dominique Strauss-Kahn aurait probablement été à même de transformer l'essai. Ségolène Royal le peut également, sans forcément y même la même intensité idéologique. Elle devra pour cela vaincre les logiques d'appareil qui continuent de prédominer au Parti socialiste, ainsi que la culture bloc contre bloc héritée des années 70/80 et de l’ancienne influence du communisme. Les jours qui viennent diront si elle peut transformer l'essai. En réponse à un billet précédent, le socialisme de gouvernement sera social-démocrate ou ne sera pas.

lundi 23 avril 2007

Quelle logique pour le second tour ?

Cela fait longtemps que je la connais. X, traditionnellement, vote à droite. Parce que X est libérale, plutôt atlantiste, pense que la gauche verse plutôt dans l’assistanat tandis que la droite prône la responsabilité, la gauche le collectif et la droite l’individu. Ce sont là des motivations très classiques au vote de droite. Le 22 avril, X a néanmoins voté Bayrou. Pas par adhésion idéologique au centre : X n’est pas du genre à minauder. Ni par la peur de subir l’omerta germano-protaine taxant de fasciste toute personne s’avouant de droite. Non, définitivement, ce n’est pas le genre de X. Si X a voté au centre, c’est tout simplement parce qu’elle a pensé que Nicolas Sarkozy, parfois, s’était laissé aller à de fâcheux commentaires. Qu’elle ne goûte pas franchement cette idée du ministère de l’identité nationale. Qu’elle pense qu’une trop grande proximité sémantique est parfois à déplorer entre les mots NS et ceux de l’extrême droite. Qu’elle trouve que l’ex ministre de l’Intérieur a trop versé dans la provocation dans son traitement des banlieues, alors qu’écoute et réflexion s’imposaient.

Pour le second tour, X ne pourra plus voter François Bayrou. Il lui reste donc Ségolène Royal, dont elle en partage aucune des idées, et Nicolas Sarkozy, dont elle en partage certaines (un peu) tout en en rejetant (beaucoup) le style. X, aujourd’hui swing voter par la force des choses, a en fait se sens même du scrutin dans ses main : logique majoritaire ou plébiscitaire (distinction développée avec brio par Olivier Duhamel ce matin sur France Culture). Car c’est la beauté / perversion de notre élection présidentielle : les deux sont possibles.

Si X vote avec son camp, elle votera à droite. Pure logique majoritaire : repli au second tour sur le candidat du courant idéologique le plus proche, i.e. la droite républicaine. Imparable. Oui, mais voter à droite, le 6 mai, c’est voter Nicolas Sarkozy. Aïe.

Si X fait le choix inverse, elle votera Ségolène Royal. Pure logique plébiscitaire : élimination d’un candidat dont les prises de positions sont jugées incompatibles avec la dignité de la fonction présidentielle, et donc vote « par défaut » (connaissant X, ce ne sera pas par adhésion) pour l’autre candidat. Oui, mais voter pour Ségolène le 6 mai, c’est voter pour le PS. Aïe.

X va donc devoir réaliser un arbitrage délicat : voter pour un parti qu’elle juge archaïque mais une candidate dont elle ne pense rien de bien si ce n’est qu’elle n’est pas Nicolas Sarkozy, ou voter pour sa tendance politique mais en même temps sembler « valider » le choix de fermeture fait par son candidat sur les thématiques sécuritaires, identitaires, et relatives à l’immigration ? Cet arbitrage, c’est celui de la nature même du scrutin : le 6 mai, X tranchera entre deux conceptions de l'élection présidentielle, entre deux visions du rôle de chef de l'Etat dans la République, entre De Gaulle et Mendès. Encore une fois, je connais bien X : au moment du choix, elle ne tergiversera pas. Et ce choix, elle l’assumera.

PS : pour des raisons de préservation de l’anonymat, j’ai décidé de considérer que X comme appartenant à la gente féminine. X existe vraiment, mais le choix du genre a été fait arbitrairement par l’auteur à fins de préservation de l’anonymat de X. Les commentaires visant à révéler l’identité de X sans son consentement seront modérés.
PPS : je ne suis pas X

dimanche 22 avril 2007

L'avenir des verts en question

Où en seront les Verts ce soir ? A 20 heures, ce n'est probablement pas la question principale qui occupera les esprits, et pourtant : peut-être davantage que les autres partis, les Verts jouent gros.

Plus que les autres. Parce que les verts aspirent (en tout cas, la ligne Voynet) à être un parti de gouvernement. En cela, ils se distinguent de toutes les autres « petites » formations, qui portent davantage des candidatures de témoignages. A gauche, aucun des candidats trotskystes ne souhaite gouverner avec le PS, c'est même autour de cette ligne dure qu'Olivier Besancenot pourrait être en mesure de rassembler la gauche anti-libérale s'il obtient un bon score et qu'il distance ses vrai-faux camarades. Le Parti communiste, lui, est dans une situation très ambiguë : en cas d'échec, c'est toute sa stratégie qu'il devra repenser, c'est sa raison d'être même qui sera menacée. La question de sa participation à un gouvernement PS sera au coeur de cette réflexion. A droite, les positions xénophobes de Philippe de Villiers semblent rendre impossible toute participation de sa aprt à un exécutif dominé par l'UMP. De même que Jean-Marie Le Pen est hors-jeu. Enfin, Frédéric Nihous me semble s'inscrire dans l'héritage de Poujade ; il n'aspire donc pas précisément à gouverner.

Mais les Verts, oui. Donc, s'ils se font laminer ce soir, ils en reviendront à la situation qui étaient la leur avant que la gauche plurielle ne les « crédibilise » comme partenaires du PS pour gouverner. Plusieurs cas de figure sont envisageables. Si Ségolène Royal réalise un mauvais score ce soir et qu'il en est de même des verts, ceux-ci pourront arguer de l'échec global de la gauche pour expliquer leur échec. Ce n'est donc pas tant leur propre stratégie qui aurait échoué, mais bien celle de la gauche toute entière, et les Verts pourront continuer à peser. Si, maintenant, Ségolène Royal réalise un bon score, et que les Verts échouent, la question sera différente. Supposons, par exemple, François Bayrou à 15 % (hypothèse basse) et les Verts à 4 % (hypothèse haute) : la logique voudra, que, pour gagner, Mme Royal prenne davantage en compte certaines revendications portées par le candidat centriste que celles de Dominique Voynet.

Ou, dit autrement : comment comprendre que les socialistes continuent de faire la sourde oreille à un centre important si un parti n'obtenant que 3 % des voix arrive à lui imposer le renoncement à l'EPR, qui est un choix de politique énergétique et éconmoique majeur ? Après tout, les socialistes se souviendront peut-être alors que les Verts parisiens ne sont pas un modèle de fair-play, et que Noël Mamère a contribué en 2002 a ôter des voix cruciales à Lionel Jospin. Peut-être jugeront-ils que la plate-forme programmatique proposée par Séolène Royal était suffisamment écologique pour que la sagesse ait dû dispenser Mme Voynet de se présenter au moment où l'accession de la gauche au second tour était en jeu. Peut-être feront-ils alors sentir aux Verts qu'un destin « à la Chevènement » ou « à la Taubira » (désistement en échange de circonscriptions) leur aurait été plus favorable. Dans cette hypothèse, le déploiement des verts lors des prochaines élections (législatives, municipales, etc.) pourrait être mis en échec. Le prix de l'indépendance, en quelque sorte : le PS ne peut jouer indéfiniment le rôle d'assureur de dernier ressort pour toutes les déclinaison de la majorité très plurielle qu'il a vocation à animer. Le destin des Verts serait alors assez noir. Celui de l'écologie politique serait à redéfinir entièrement. RDV ce soir à 20h.

mercredi 18 avril 2007

La grande incertitude

Dans quatre jours, nous devrons voter. L’élection est indécise. La campagne n’a pas – Dieu merci ! – tourné exclusivement autour du thème de l’insécurité ; au contraire, aucun thème ne s’est définitivement dégagé, tous ont été abordés, peu l’ont été en profondeur. Il semblerait que 4 candidats aient des chances d’accéder au second tour, dont 3 peuvent espérer la victoire finale. Ces différents choix pourraient constituer autant de lignes politiques. Je prétends au contraire que, quel que soit le président élu, il est très difficile de savoir selon quelle ligne politique le pays serait gouverné.

Nicolas Sarkozy : rupture libérale ou conservatisme ? La prise de pouvoir de NS au sein de l’UMP n’a pas été accompagné d’une refondation idéologique : le parti de la droite est d’abord une machine de guerre au service du candidat. Sans refondation idéologique, la question du libéralisme demeure taboue : le mot rupture a d’ailleurs progressivement disparu au profit d'un vocabulaire plus classique de droite. Et pourtant, des questions à trancher, la droite en avait. La principale est pour moi son rapport au libéralisme, rendu difficile par l’héritage gaullien (la droite ayant dû attendre 1986 pour se débarrasser de la base idéologique que représente le programme du Conseil National de la Résistance ayant présidé aux nationalisations de 1946) : l’hostilité au libéralisme est bien d’ailleurs l’un des rares points sur lequel on puisse faire crédit au président Chirac de constance !
Le rapport de la droite à l’Europe découle, me semble-t-il, grandement du point précédent (en y rajoutant l’idée de nation, mais celle-ci est également un avatar de la question libérale, la nation comme incarnation du groupe étant souvent opposée au libéralisme, décrié comme triomphe de l’individualisme). C’est ainsi que NS passe de la rupture (libérale, au moins en partie) aux discours de Henri Gaino… et quémande le soutien de Jacques Chirac (que celui-ci lui a « tout naturellement » apporté). Rendons ici hommage à René Rémond, décédé la semaine dernière : Nicolas Sarkozy est un parfait exemple de la cohabitation des trois droites : orléaniste car libéral, légitimiste car conservateur, bonapartiste car se prévalant d’une relation directe avec le peuple et récusant les pouvoirs intermédiaires, il est la synthèse des droites. Or celles-ci ne sont pas 100 % compatibles. La tendance qui l’emportera fera la ligne de la présidence Sarkozy. Les rénovateurs, à droite, voudront voir dans le Sarkozy de 2004 le « vrai » Sarkozy. Les gaullistes se réjouiront de ses marques d’adhésion au « modèle français » de ces derniers mois. Mais pour l’instant, on ne sait pas.

Ségolène Royal : sociale-démocratie ou première gauche ? Libéralisme régulé ou crypto-marxisme ? Les deux lignes étaient représentées lors de la primaire interne au PS, par DSK et Fabius. Oui, mais Ségo a gagné, et voilà le PS sans référence pour analyser sa candidate : précisément, Ségolène Royal n’appartient à aucune de ces deux lignes. Et comme pour Sarkozy, on en est réduit à aller chercher dans son passé pour savoir « ce qu’elle pense vraiment ». La référence à Mitterand est omniprésente ? Oui, mais elle cite également Jacques Delors. Elle veut augmenter le SMIC à 1500 € ? Oui, mais elle tient au PS le discours des entreprises qui innovent. Elle souhaite que nous arborions des drapeaux à la fenêtre le 14 juillet et a pris Chevènement dans son équipe ? Oui, mais elle est farouchement décentralisatrice et a voté oui au TCE. Difficile, donc, de se faire une idée en s’appuyant sur le clivage traditionnel du PS. Donc, bien évidemment, la question du rapport au libéralisme, qui est également celle qui empoisonne l’existence du PS, celle qui devrait être traitée si le PS voulait faire son Bad-Godesberg, celle enfin dont la résolution conditionne l’aggiornamento vers lequel les deux extrêmes du PS le tiraillent (la révolution anti-libérale contre la révolution sociale-démocrate), ne sera pas tranchée. Ségolène Royal c’est le refus du choix entre les deux gauches, entre Jaurès et Guesde, plutôt qu’une clarification. Une incarnation de la France plutôt qu’une ligne politique (la propagande ségoléniste joue cette carte à fond : Ségolène, c’est Marianne, c’est la république, c’est la France) – voir mon billet sur son intervention sur TF1 -, une ambiguïté permanente que n'a pas réussie à lever son discours de Villepinte (que j'avais commencé à analyser ici). S’il est certain que le débat politique ne doit pas se restreindre au clivage précédemment évoqué, il est certain que celui-ci existe : la présidence Ségolène

François Bayrou : démocratie chrétienne ou centre élargi ? La grande incertitude de la présidence Bayrou diffère des précédente en ce sens qu'elle ne concerne pas le choix entre deux lignes présentes dans son parti mais entre la ligne politique historique de la démocratie chrétienne et les possibilités de rassemblement que lui ouvrirait une victoire le 6 mai en-dehors de son parti. Cette différence tient à la nature même de l'UDF post-UMP : c'est un petit parti, mais idéologiquement plus homogène. Cela constitue sa force (il est plus cohérent que le PS et l'UMP) mais aussi sa faiblesse (réduit à l'expression de sa seule tendance, la démocratie chrétienne est un courant minoritaire).
Si François Bayrou venait à gagner, deux solutions seraient alors possibles : un regroupement de personalités de centre-droit et de centre-gauche dans une majorité soutenant son programme (un centre élargi regroupant gauche libérale [sociale-démocratie] et droite libérale [du type démocratie libérale]) dans lequel les véritables démocrates-chrétiens ne seraient pas forcément majoritaires, ou la restriction du courant politique dominant à la seule démocratie chrétienne. Il est probable que François Bayrou lui-même ne serait pas maître du destin de cette alternative, dont dépendrait pourtant la substance du quinquenat Bayrou.
***
Peu de clareté, donc, au moment de faire le choix. D'une part du fait du caractère composite des deux partis dominants, qui agrègent différentes sensibilités, d'autre part du fait de la nature même de l'élection présidentielle, qui organise le déplacement progressif de la campagne depuis le contenu des programme vers la personnalités des candidats. C'est l'un des grands désavantages du système : au delà du mythe de la "rencontre en un homme et un peuple", ses dérives avaient déjà été pointées par Mendès-France en son temps. Quelqu'un comme Rocard avoue dans ses entretiens ne l'avoir pas compris à l'époque. Depuis, il a changé d'avis.

dimanche 25 mars 2007

Série Bayrou (1) : gouverner au centre

Maintenant que les oracles de la campagne, j'ai nommé les sondages, semblent montrer un tassement du phénomène Bayrou, toujours en bonne position mais ne parvenant pas à dépasser ses rivaux PS et UMP, maintenant donc que nous avons un peu de recul, on peut essayer de réfléchir sereinement au phénomène. J'ai déjà commis un billet sur le fait que notre ami béarnais forçait la gauche à se repenser par rapport à un clivage droite-gauche qu'elle tient pour constitutif, nécessaire, pérenne, et transcendant. Je vais essayer de pousser l'analyse, en analysant d'abord sur quelles bases peut se fonder la volonté de FB de gouverner au centre, puis le caractère anti-système de la candidature Bayron, et enfin son lien avec le libéralisme. Oui, je sais, je n'ai pour l'instant que marginalement brillé par ma propension à tenir les promesses annoncées sur ce blog : il y a maintenant un certain nombre de billets notés (1) qui attendent leur (2). Eh bien, espérons quand même !

Gouverner au centre, donc. Vieux rêve que celui de réunir la nation quasi-unanime sur un projet accepté de tous et refusé des seuls extrêmes. « Pourquoi voulez-vous qu'il y ait une opposition ? », disait De Gaulle. Souvenirs brumeux de l'Union sacrée ou du bloc national. Rêve que le bien commun se construise dans la concorde plutôt qu'à travers une succession partisane, que par cette sorte de louvoiement qui permettrait d'y tendre par coups de barre successifs de part et d'autre. Soit L, le bien commun : après tout, pourquoi ne pas dire f(x) = L plutôt que de tenter absolument f(x) = cos(x)/x + L ?

Mais, bien évidemment, les gens de bon conseil d'expliquer au Béarnais qu'on y avait déjà pensé, merci, mais que c'est impossible. Et pourquoi ? Parce que c'est la vie : les unions sacrées ne durent qu'un temps, elles sont vouées à se disloquer, et font à la longue le jeu des extrêmes. C'est d'ailleurs le sens de la critique formulée par Nicolas Sarkozy (et en cela, je lui accorde même de la constance : il y a longtemps que NS prétend que la droite doit être vraiment à droite et la gauche vraiment à gauche pour éviter qu'un jour, la présidentielle se joue entre Le Pen et Bové). Autrement dit, une polarisation d'une assemblée au centre serait par nature instable. C'est ce que je vous propose de vérifier maintenant.

Supposons un état initial parfaitement stable, le système de Westminster : une droite et une gauche bien identifiées, un système d'élection uninominal par circonscription plutôt qu'un scrutin de liste national, et vous avez un camembert partagé en deux. Les extrêmes en sont exclus, un centre marginal peut demeurer, il sera la cinquième roue du carrosse, d'un côté ou de l'autre, peu importe. Etat stable : un parti domine, quand il est fatigué, l'autre prend sa place, et ainsi de suite : les Anglais font cela depuis le XVIIème siècle, en remplaçant juste les whig par les travaillistes, et cela leur convient. Les Américains aussi. Bon, mais, nous dit Bayrou dans son discours d'Evreux, cela ne marche pas en France car chacun défait ce que fait l'autre : « la confrontation de l'UMP et du Parti socialiste a été une confrontation stérile. Elle dure depuis vingt-cinq ans. Depuis vingt-cinq ans, ceux qui sont dans l'opposition flingue toute idée de ceux qui sont au pouvoir. Depuis 25 ans, à chaque élection, il y a une alternance, c'est-à-dire que l'on sort ceux qui sont en place pour les remplacer par ceux qui étaient là le coup d'avant et ceux qui arrivent n'ont pas de plus urgent besoin ou choix que de détruire ce qu'ont fait ceux qui les avaient précédés. Ce n'est pas comme cela, dans cette attitude d'affrontement perpétuel, que l'on peut construire du positif pour un pays. » On a donc un état stable, mais créant un jeu à somme nulle. Statu quo ? Mais c'est exactement ce que les contempteurs du régime d'assemblée reproche à celui-ci, notons. Bon, passons.

On se propose donc d'introduire, dans cet état stable, un centre non-marginal. Nous voilà donc avec une gauche, un centre, une droite. Notons que le centre peut être lui-même divisé, de fait, il l'est souvent. Je pense qu'on peut alors distinguer deux situations bien différentes.

On pourrait qualifier la première de bipolarisation avec centre-pivot : il continue d'y avoir une alternance droite-gauche, mais celle-ci est décidée par le centre, qui peut « choisir » la formule gagnante. Le centre, même minoritaire, détient donc un poids primordial. A la réflexion, c'est ce que pourrait obtenir Bayrou : supposons qu'il soit élu président, et, qu'aux législatives, l'UDF ne soit pas suffisamment forte pour s'imposer comme le premier parti, mais obtienne néanmoins quelque chose comme 20 % des sièges, avec, pour simplifier, l'UMP et le PS avec 40 % des sièges chacun. Nonobstant la légitimité que confère le suffrage universel au Président, nos institutions actuelles prévoient quand même que c'est le Parlement qui vote la confiance : ainsi, c'est bien au Parlement qu'il reviendrait de choisir le PM, et donc à l'UDF de faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre. Cas hypothétique on s'en doute, car négligeant le particularisme français, mais cas important, car c'est dans cette configuration qu'agit le plus souvent le centre dans un régime parlementaire.

Mais effectivement, si cette solution est celle qui semble dévolue à un centre important mais non majoritaire, comme le rapport de force semblerait le dessiner actuellement et est donc l'objectif que pourrait effectivement atteindre Baryou, ce n'est pas ce qu'il souhaite : « élu président de la République, je formerai un gouvernement qui sera un gouvernement pluraliste, ouvert sur les grandes sensibilités du pays avec des personnalités nouvelles, parce qu'il faut du renouvellement, diverses par leur expérience, ayant fait leurs preuves dans la vie, d'accord sur le plan de redressement que j'aurais proposé aux Français et ce gouvernement dira à toutes les femmes et tous les hommes politiques de France : "Si vous avez entendu le message que les Français viennent de vous envoyer, si vous souhaitez entrer dans ce rassemblement pour soutenir le redressement, vous y avez toute votre place." ». Il ne s'agit plus ici d'un maintien de la polarité droite-gauche, quand bien même dominé par un « swing center », mais bien d'une polarisation unique et centrale de système partisan autour du centre, auquel se verrait agrégées la gauche de la droite et la droite de la gauche, rejetant les extrêmes. Autour d'un grand parti du centre, donc, des personnalités de valeur glanées à droite et à gauche. Autour de Bayrou, Strauss-Kahn et Borloo.

Est-ce jouable ? Deux références me semblent pertinentes. La première, c'est l'Union sacrée, le concours de toutes les bonnées volontés, et d'ailleurs, c'est explicite dans le discours de FB (par exemple : « Si je suis élu, ce gouvernement sera un gouvernement qui rassemblera des compétences venant des camps différents, s'entendant sur l'essentiel et décidées à reconstruire le pays dans une démarche de rassemblement »). La thématique de la reconstruction du pays, donc, comme justification à l'état d'union sacrée. Mais pas que : en effet, l'union sacrée ne peut être que conjoncturelle, or François Bayrou nous invite à un changement sur le long terme, donc à une polarisation structurelle du paysage politique autour du centre qu'il incarne. Et là, la référence au radicalisme est peut-être utile.

Vous me direz, pourquoi aller exhumer le radicalisme de tombeau auquel la fin des IIIème et IVème Républiques l'avait condamné ? Mais bien parce que la IIIème république raconte l'histoire d'une polarisation, centrale,mais surtout durable, du spectre politique. Le centre, occupé par les radicaux (au centre gauche, c'est vrai), n'agissait pas comme swing voter, mais comme leader des différentes coalitions, la plupart du temps, avec à sa gauche une SFIO tiraillée entre son désir d'avoir des élus, sa position doctrinale de refus de participation au pouvoir, et son ambivalence quant à l'acceptation de la République, et de l'autre une droite dont la frange progressiste avait rallié le régime et était prête à gouverner avec les radicaux, mais dont l'autre bord n'avait jamais accepté 1875. Ce sont bien les radicaux qui, à partir du gouvernement de Défense nationale de Waldeck-Rousseau, ont donné vie à la plupart des coalitions, qu'ils y soient archi-majoritaires comme lors des ministères Combes, Clémenceau, Caillaux, ou minoritaires du temps du Bloc national. Je pense d'ailleurs que François Bayrou est trop bon connaisseur de l'histoire de France pour ne pas ignorer le rôle déterminant du parti radical à cette époque.

Cela peut-il se reproduire ? Il faudrait, me semble-t-il, que soient réunis deux ingrédients : d'une part une multiplicité des clivages partisans, d'autre part une idée-force recueillant l'assentiment des membres de l'assemblée au-delà du seul centre... On retrouve à peu près cette situation au Parlement européen aujourd'hui : deux grands partis, mais peu homogènes du fait des différences nationales, avec une majorité de l'Assemblée qui se retrouve autour d'un thème fédérateur : l'Europe et le libéralisme sont pour le Parlement européen ce que la nécessité de fonder la République, le patriotisme et la défense de la laïcité furent pour la IIIème République.
Ces deux conditions ne sauraient, selon moi, s'appliquer à la France aujourd'hui : les forces politiques, pendant la IIIème République, étaient suffisamment divisées pour que soit possible ce que le maintien de la cohésion du PS et de l'UMP ne peut aujourd'hui autoriser, et le diagnostic sur les réformes à accomplir, s'il est partagé dans les états-majors des partis comme je n'en doute pas (recherche, mise à niveau des universités, libéralisation du marché du travail, Europe), n'est pas proclamé par leurs dirigeants. A noter que, si les clivages qui existent toujours à l'intérieur de l'UMP (entre gaullistes et libéraux) et à l'intérieur du PS (entre sociaux-démocrates et tenants de la 1ère gauche) se révèlaient, il ne serait pas exclu que la première condition soit réunie, et qu'une coalition large entre les sociaux-démocrates du PS, l'UDF, et les libéraux de l'UMP puisse voire le jour. Mais c'est de la politique fiction.

Qu'en penser, finalement ? Que le projet du candidat soutenu par l'UDF a des bases, sûrement (on peut polariser une assemblée au centre, et même de manière stable). Que celles-ci sont ténues en la situation actuelle, aussi (on aura des difficultés à polariser au centre notre Assemblée nationale). Cela n'interdit pas d'essayer. Quant à l'UDF, le parti le plus europhile et donc a priori le moins attaché à l'esprit cocardier républicain, le plus démocrate-chrétien, comme continuateur du radicalisme laïcard de la IIIème République, l'idée peut faire sourire... Mais en 1927, la Parti radical, réuni en congrès, refusait de trancher entre la motion présentée par Daladier (réaliser pour de bon une alliance durable de gauche avec la SFIO) et celle de Herriot et Sarrault (affirmer la vocation du parti radical à être une force centriste de gouvernement se donnant comme objectif de réaliser le programme républicain), se prononçant pour une alliance de type cartelliste avec la SFIO tout en affirmant sa volonté de gouverner au centre, et donc avec le centre-droit de Poincaré. Toute ressemblance avec le choix difficile pour l'UDF entre la ligne Robien (alliance électorale et programmatique avec la droite) et la ligne Bayrou ne serait, bien sûr, qu'une pure imagiation de l'auteur.

dimanche 11 mars 2007

Le clivage droite-gauche face à François Bayrou

Ainsi, François Bayrou serait à égalité avec Ségolène Royal. Du moins, ce sont les sondages qui le mesurent, ce que les soutiens de la présidente de la région Poitou-Charrentes ont beau jeu de dénoncer après s'en être abondamment servi lors des primaires internes au PS. Ainsi, la « gauche » serait au niveau le plus bas depuis 1969, où elle n'atteint pas le second tour.

J'ai déjà eu l'occasion de discuter sur la toile, par exemple en réponse à un article de Jules sur Diner's room, de la signification du vote Bayrou. La tournure de la discussion était plutôt de reconnaître les effets positifs que pourrait entraîner l'accession du candidat centriste à l'Elysée, en ce sens qu'il introduirait des modifications institutionnelles capable de diversifier la présence à l'assemblée nationale, et serait à même de perturber la routine de l'alternance droite-gauche.

Perturber la structuration du débat politique autour du clivage droite gauche, c'est d'ailleurs ce que beaucoup, à gauche, tiennent pour hérésie. On a déjà dénoncé sur ce blog une façon particulièrement grossière de s'y prendre, celle de Jack Lang. Mais parlons du fond : brouiller le clivage droite-gauche, est-ce vraiment si mal ?

Pour des gens comme mon ami Sylvain, ou comme Laurent Fabius (qui n'est pas mon ami) : oui, sans hésiter. Sous-jacent : le clivage droite-gauche devrait irriguer notre vie politique car il correspond à une catégorie pérenne, immuable, du politique : si l'opposition n'est pas assez claire, assez frontale, la différence gauche-droite se brouille. Autrement dit, depuis toujours et jusqu'à la fin des temps, il n'y a que deux grandes forces politiques, et s'il existe des courants ou des nuances à l'intérieur de ceux-ci, les désaccords qui en résultent sont tenus pour secondaires comparé à l'antagonisme droite-gauche. Comme le remarque René Raymond dans son magistral Les droites en France, ceux qui imaginent des complications supplémentaires sont immédiatement "soupçonnés d'obéir à des arrières pensées politiques, de chercher à brouiller les cartes en dissimulant l'enjeu et la signification de la seule lutte qui compte : inutiles pour la compréhension de la politique, ces complications sont de surcroît nuisibles". On rejoint ainsi le thème, éculé mais toujours vivace, de la compromission : celui qui sort de la caverne du clivage droite-gauche est un traître, en tout cas pas un homme de gauche. Ainsi, une dénonciation de type Clémentine Autain ne fait que répéter ce que disait déjà Alain dans les années 20 : « lorsqu'on me demande si la coupure entre partis de droite et de gauche, entre hommes de droite et hommes de gauche, a encore un sens, la première idée qui me vient est que l'homme qui me pose cette question n'est certainement pas un homme de gauche ». On lui signalera que, depuis, il y a eu Raymond Aron, qui ouvre par cette citation son Opium des Intellectuels, mais je ne mettrais pas ma main au feu que Clémentine Autain en ait fait son livre de chevet...

Or s'il est chose certaine, c'est que le clivage droite-gauche est au contraire un produit historique, mouvant. Telles notions furent de gauche, et sont maintenant de droite ; et vice-versa. Certaines ont même cheminées, tout au long de notre histoire, entre les différents courants des droites et des gauches, sans vraiment se fixer. L'idée de nation, autre fois de gauche, puis de droite sous couvert d'autorité et d'ordre moral tandis que se développait une construction internationaliste du socialisme, puis de retour à gauche pendant l'entre deux guerre alors qu'une partie de la droite semblait subissait la trouble attraction des courants fascistes, de retour à droite avec De Gaulle, incarnée parallèlement avec un cocardisme très appuyé par le Parti communiste, etc. On pourrait faire pareil avec le libéralisme, la construction européenne, etc. Tout n'est donc pas si simple : s'il y a une droite et une gauche, elle ne sont pas immuables, et elle ne constituent pas forcément le clivage de référence.

Il y a donc une forme de facilité à se référer sans cesse à un clivage largement mythifié afin de résumer, de simplifier tout débat politique. Il y a même une forme de supercherie, qui confine à un comportement de type rentier : en s'exonérant du débat, une partie de la gauche escompte une rente électorale, celle des personnes se définissant comme de gauche. Car il est sûr qu'un homme de gauche aura du mal à voter pour une parti « de droite », ce qui équivaudrait à trahir son identité de gauche. Celle-ci se serait développée à travers une convergence, idéologiquement assez absurde pour qui a lu Marx, entre le clivage droite-gauche issu de la Révolution et celui sur lequel se base le marxisme.

René Raymond encore : « le ralliement du marxisme à la démocratie parlementaire a progressivement rendu possible une superposition puis une identification de l'opposition des forces sociales à celle des forces politiques: la lutte des classes s'est comme coulée dans le moule classique de l'opposition droite-gauche ». Cette magnifique manoeuvre politique, à mettre à l'actif de François Mitterand, a bien permi la création d'une rente électorale pour le Parti socialiste. Elle est utile pour l'accession au pouvoir. tant que le clivage droite-gauche est intériorisé par bon nombre d'électeurs. Or nous assiterions aujourd'hui à la fin de cette rente : en 2002, les classes populaires désertent le PS, qui est éliminé. En 2007, les très décriés bobos seraient sur le point de rejoindre Bayrou. Dans ce cas, à part chercher à préserver la rente en appelant à une opposition frontale, comme le fait Laurent Fabius, que le PS peut-il faire ?

On pourrait imaginer que l'émergence de Bayrou amène la gauche à dépasser ce clivage simplificateur. Et notamment, puisque Bayrou représente fondamentalement une tendance démocrate-chrétienne, libérale, européenne, cela pourrait – on peut rêver – forcer le PS à se positionner par rapport à la question du libéralisme. Car c'est bien le rapport entre socialisme et libéralisme, entre socialisme et ambition révolutionnaire, entre socialisme et économie de marché, qui est le grand tabou du PS, celui qui n'a été réglé ni à Dijon en 2003, ni au Mans en 2005. C'est celui qui a irrigué la division du PS au moment du référendum sur le TCE. C'est celui autour duquel sevrait s'articuler l'agiornamento qu'une partie du PS appelle de ses voeux. Une défaite de la gauche face à un centrisme décomplexé obligerait le PS à se poser ces questions, et il apparaîtrait que la candidature de DSK aurait eu plus de chance de fédérer, ce qui pourrait ouvrir la voie à une direction de type social-démocrate.

Ce scénario nécessite néanmoins un ingrédient qui me semble absent : il faudrait que Bayrou incarne véritablement ce centrisme libéral et européen, afin que les raisons d'une éventuelle défaite du PS soient immédiatement et indiscutablement identifiables. Or l'attrait pour le candidat centriste ne vient-il pas plutôt de son côté anti-système, de sa dénonciation (au demeurant fondée) des liens capitalistiques entre médais et groupes vivant de commandes publiques, d'un idylle largemenet mythifiée (le PS n'a pas le monopole des mythes !) avec les enseignants ? D'où l'analyse, souvent entendue dernièrement (), que Bayrou serait le candidat du statu quo, de la préservation des corporatismes, etc.

En d'autres termes, si Bayrou devait défintivement s'éloigner d'un libéralisme de type démocrate-chrétien pour ne plus incarner qu'un rejet de type poujadiste du système, elle y perdrait une grande part de sa force théorique. En ce sens, la proposition faite par FB pour les législatives ne prête guère à l'optimisme : une majorité présidentielle qui ne serait que l'agrégation hétéroclite de candidats Bayrou-compatibles, sans accord assumé autour d'un véritable corpus idéologique, ne constituerait qu'une alliance de circonstance, un nouveau Comité de Salut public. Une modification durable nécessite au contraire l'émergence de forces politiques assumées, stables, et idéologiquement cohérentes, débattant de leurs divergences devant la représentation nationale plutôt que dans les alcoves de leurs partis. Il est possible qu'une victoire de Bayrou amène ce type de recomposition.
Ce n'est pas probable...

samedi 3 mars 2007

Le discours de Nicolas Sarkozy sur l'Europe (1)

Que peut-on attendre d'un discours sur l'Europe prononcé deux mois avant l'élection présidentielle dans un pays encore profondément marqué par le non du 29 mai 2005 ? De mon côté, pas grand chose : le risque de déplaire est plus fort que la possibilité de convaincre sur un credo européen, l'adhésion à la construction communautaire ne recoupe pas lignes de clivage caractéristiques, à la fois Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal ont un électorat divisé sur la question. Enfin, sauf à se ridiculiser complètement, les « grands » candidats ne peuvent promettre n'importe quoi, puisque leur marge de manoeuvre sur les questions européennes est limitée par le fait (regrettable) qu'en Europe, il n'y a pas que la France. Mais on attend néanmoins les candidats sur cette question européenne : puisqu'il est admis que l'UE est en crise, comment la relancer ? D'un futur Président de la République, on espère une réponse, une vision... qui puisse, avant de réconcilier les Français avec l'Europe, réconcilier les Français entre eux sur l'Europe.

On peut donc penser que le discours de Nicolas Sarkozy avait comme principal objectif de renforcer sa stature de présidentiable, en le montrant capable d'embrasser la problématique européenne et de donner la preuve de sa maîtrise des questions communautaires, mais également (surtout) de ne pas lui faire perdre des points.

Le discours de Strasbourg n'y déroge pas : Nicolas Sarkozy a beaucoup parlé d'Europe, d'européens célèbres, de construction européenne. Il a beaucoup dit « je veux » (35 fois !). Mais au final, peu de chose que nous ne sachions déjà, et même peu de pistes concrètes tout court pour relancer la machine communautaire : Nicolas Sarkozy a beacoup parlé valeurs, et, comme souvent, cela veut dire peu parlé actions. Je vois quand même 3 grands thèmes, qui valent peut-être qu'on s'y attarde un peu.

1/ Inscire la construction européenne dans un discours historique
Que retenir de cette longue partie consacrée à l'idée européenne ? Outre les références obligées à Jean Monnet et Robet Schuman, celle à De Gaulle me semble plus intéressante. Non que sa présence soit en soi une incongruité pour un candidat de droite : le contraire aurait surpris. Mais la référence à l'Europe des Nations m'a paru assez appuyée : « Le Général De Gaulle voulait que l’Europe fût européenne, c’est-à-dire indépendante. Il voulait qu’elle respectât les nations. Il voulait qu’elle existât par elle-même sur la scène du monde. Et que voulons-nous d’autre au fond ? Chaque fois que nous nous sommes éloignés de cet idéal nous avons affaibli l'Europe. »
Ensuite, c'est que l'Europe se définit comme un produit historique, dont il nous appartient d'assumer la charge et de contnier l'histoire : « Nous devons prendre l’histoire de la construction européenne comme l’histoire de France là où elles en sont et les continuer. Ce qui ne veut pas dire que nous sommes obligés d’imiter ceux qui nous ont précédés. Mais ce qui veut dire que, pour l’Europe comme pour la France, la table rase est impossible. Nul ne peut repartir de zéro. » Ce désir affiché d'être le continuateur d'une histoire assumé me semble une constante du candidat UMP, dont l'image est encore marquée par les accusations de communautarisme. Elle fait également écho à une crise de la représentation de l'imaginaire national par les Français eux-même, largement documentée. La surprise est donc plutôt de trouver cela appliqué à l'Europe.
Sinon, les références me sont apparues justes, mais convenues. Le discours est précis, mais classique. Ici, le but n'est pas de convaincre, mais d'illustrer un Président acteur de son Histoire.

2/ Un diagnostic sur la crise de l'Europe
La partie la plus intéressante du discours y a été consacrée. Avec tout d'abord, une affirmation, destinée à rassembler ouisites et nonistes : « Je veux le dire à tous nos partenaires : ce n’est pas le « non » néerlandais et français à la Constitution européenne qui est responsable de la crise de l’Europe. C’est la crise de l’Europe qui est responsable du rejet de la Constitution. » Constat souvent exprimé, difficile à vérifier : c'est sans doute les deux, le non français ayant à la fois illustré et donné une forte ampleur à un malaise qui était sans doute prééexistant.

Au premier titre des éléments responsables, l'élargissement est fortement incriminé : « En élargissant l’Europe sans réformer auparavant ses institutions on l’a diluée et dépolitisée. » Le thème de la dilution est une obession français, à laquelle Nicolas Sarkozy semble souscrire. Les autres Etats-membres également, à des degrés divers, témoin la mise en avant de la notion de capacité d'absorption de l'Union pour décider des prochains élargissements. Le fait que l'Europe ne se soit pas donné de frontières est fustigé, en même temps que la perte de substance politique. Ce discours est logique : en refusant de fixer une frontière, on refuse de définir l'autre, et donc également soi-même.

Ce qui fait écho à un grand point du discours : la manque de volonté politique de l'Europe. « Depuis 25 ans on dit qu’il n’y a qu’une seule politique possible, qu’une seule pensée possible, qu’une seule Europe possible. » Commentons : d'un point de vue théorique, on peut dire que ce manque de volonté politique fait directement écho à l'accusation selon laquelle l'Europe n'est pas gouvernée (oppostion gouvernement / gouvernance) ; à la dénonciation de la profonde mutation d'un universalisme qui se muerait chez les Européens en une véritable incapacité à concevoir l'existence de préférences collectives significatives. Il vient, selon moi, s'inscrire dans une vague récente d'analyses, dont est révélateur l'excellent ouvrage « la Raison des Nations », de Pierre Manent, selon lesquelles le projet européen aurait profondément changé de nature depuis le traité de Maastricht et orchestrerait la sortie du national en offrant comme horizons aux Européens une forme de démocratie post-nationale, soit un kratos sans demos. Or le manque de volonté décrit pas Nicolas Sarkozy ne participe-t-il pas de ce phénomène d'empire démocratique auto-régulé mais incapable d'exprimer un quelconque préférence collective ?

Enfin, NS caractérise une forme de naïveté libérale européenne, celle d'une Europe qui, seule à appliquer avec ferveur les precepts d'un libéralisme théorique, ne saurait plus se défendre (ce qui renvoit selon moi au point précédent : l'Europe rendrait possible le règne de la norme juridique, de l'état de droit libéral, mais d'une norme désincarnée ne répondant plus à la volonté d'une communauté politique). Ce libéralisme doctrinal empêcherait l'Europe de se doter d'une réelle politique industrielle ou de protéger ses secteurs stratégiques : « Je crois aux vertus de la concurrence mais je ne crois pas que la concurrence soit une religion, ni qu’elle soit efficace en toutes circonstances. ». La référence à l'interventionisme des Etats-Unis est très nette : « Nous devons être capables de leur proposer une Europe qui se donne au moins les moyens de faire ce que font les Etats-Unis qui savent parfaitement protéger et promouvoir leurs intérêts. Quand nous avons sauvé Alstom nous aurions dû trouver la Commission européenne avec nous. Nous l’avons eue contre nous. C’est cette Europe qui à la tentation de passer l’agriculture et l’industrie par pertes et profits qui ne peut pas durer. ». La crise européenne procède donc en grande partie, pour NS d'un libéralisme trop simpliste, avec pour corollaire une absence de volonté politique. Avec comme sous-jacent, une condamnation assez claire du libéralisme, que n'aurait pas reniée la gauche. Et d'ailleurs, d'un point de vue purement théorique, c'est sans doute vrai, et de vrais libéraux souscriraient sans doute au propos de NS tout en y voyant de grands avantages par rapport à l'interventionisme étatique, à la fois inefficace économiquement et, d'un point de vue de la théorie politique, détrimental au principe de liberté.

Comme c'est déjà suffisamment long comme ça, on verra le programme une prochaine fois.

dimanche 25 février 2007

Tartuffes

Il est de ces moments où, sans être complètement naïf, on aimerait que ça se passe autrement. Où l'on constate que l'honnêtété intellectuelle, même la plus élémentaire, n'est pas au rendez-vous chez ceux de qui on l'attend en priorité. Où la manoeuvre apparaît grosse, très grosse, tellement grosse que l'on cherche en vain, sur le visage de celui qui l'a amorcé, le pourpre qui devrait légitimement venir y prendre place. Mais las ! rien ne vient. En somme, il est des formes d'hypocrisie qu'on aimerait voir bannies du débat public, des tartufferies que, faute de pouvoir empêcher, on peut au moins tenter de dénoncer.


1/ De la charge anti-Bayrou de certains membres du Parti socialiste, et notamment des commentaires du citoyen député du Pas-de-Calais

"Le Ciel défend, de vrai certains contentements ;
Mais on trouve, avec lui, des accomodements ;
Selon divers besoins, il est une science
D'étendre les liens de notre conscience
Et de rectifier le mal de l'action
Avec la pureté de notre intention.
De ces secrets, Madame, on vous saura instruire
Vous n'avez seulement qu'à vous laisser conduire"
.

Jusqu'il y a peu, la progression de François Bayrou dans les sondages laissait au mieux indifférent, suscitant plutôt la raillerie. Et puis, l'idée que le candidat centriste pourrait être présent au second tour, voire raffler la mise, s'est, sinon imposée, du moins vue reconnaître moins délirante. On a pu entendre, d'abord sous forme de boutade, puis sur un ton un peu plus sérieux, que le député béarnais pourrait représenter une alternative à un duo un peu prévisible. Mais surtout, faute sacrée ! des électeurs de gauche se sont dit tentés. Et le clown est devenu danger.
C'est comme cela que j'interprète la récente charge concertée des principaux ténors socialistes (à l'exception de Kouchner) contre le vote Bayrou. La méthode employée est simple. Martèlement du "clivage droite-gauche" érrigé en principe sacré. Exhaltation du progrès (nous, détenteurs du dogme) contre la régression (autrui). Utilisation (facile) de l'épouvantail « libéral » pour se dispenser d'une analyse ultérieure. Refus de considérer l'irréductibilité de chacun des opposants (tous dans le même sac, c'est plus facile). Assimilation du doute (salutaire, si j'ai bien lu Descartes) à la "confusion" ou à "complaisance" (Jack Lang). Réduction du sympathisant hésitant à un traître en puissance.
Ainsi, être socialiste, ce serait confondre dans une même stigmatisation tous ses adversaires, ce serait recourir à la vieille stratégie de l'anathème pour mieux disqualifier tout en se dispensant d'une quelconque analyse, ce serait préférer se draper dans un virginité doctrinale (moi, la gauche, le progrès) plutôt que d'engager la discussion. C'est ce que semble croire un ancien ministre de la Culture et de l'Education nationale, qui a ajouté la tentative d'intimidation à l'hypocrisie en qualifiant FB de candidat "attrape-benêts". On voit bien la manoeuvre : culpabilisation de l'électeur potentiel, jugé coupable (sans procès contradictoire) de trahir le camp auto-proclamé du progrès pour aller rejoindre le loup libéral.
Mais, si je ne m'abuse, on va à l'école pour réfléchir et apprendre à devenir citoyen, M. le ministre. Et la culture dont vous vous faites le héaut doit stimuler la réflexion, pas l'anihiler. C'est rendre peu de grâce à l'Ecole dont vous vantez tant les mérites que de la créditer de si piètres performances quant à la formation des futurs citoyens que de nous penser incapables de distinguer l'anathème de l'argument. Et, si aujourd'hui, un certain nombre d'électeurs qui ont pour tradition de donner leur voix au Parti socialiste se tournent vers François Bayrou, sachez, M. le député, que ce sera en benêts assumés, et que vous y serez pour beaucoup.

2/ De la suspicion d'un journaliste politique et d'un possible parallèle avec de récentes nominations à la présidence de prestigieuses institutions de la République

« Et le mal n'est jamais que dans l'éclat qu'on fait
Le scandale du monde est ce qui fait l'offense
Et ce n'est pas pécher que pécher en silence
»

On a abondamment commenté la suspension d'Alain Duhamel de ses fonctions à France Télévisions et RTL suite à des propos tenus devant des étudiants de Sciences-Po Paris. La sanction est apparue, à beaucoup, infondée (ainsi que, d'ailleurs, la réaction du journaliste suspendu), voire révélatrice d'un surcroît de complaisance envers les divers soutiens aux deux principaux candidats et preuve, s'il en est, de l'acuité de la critique de la sphère médiatique proposée par le candidat centriste. Réagissant à cette éviction dans sa chronique de fin d'émission (l'Esprit public sur France culture), Philippe Meyer a ce matin dressé un parallèle entre, d'une part, cette éviction, et d'autre part l'accession MM. Debré et Boyon aux présidences respectives du Conseil constitutionnel et du CSA. Je ne sais s'il faut prendre au sérieux la proposition du journaliste de Radio France que chaque journaliste suivant les affaires publiques déclare son intention de vote, aux fins d'une plus grande confiance des citoyens envers les journalistes ; mais je souscris en revanche tout à fait au jugement selon lequel il est fait deux poids deux mesures en suspendant un journaliste de ses fonction du fait d'une intention de vote avouée (cette intention de vote ne s'étant pas traduit en véritable soutien) tout en admettant que l'appartenance (tout juste) passée à une famille politique, attestée par des charges publiques, ne soit pas à même de priver les titulaires des grandes magistratures de l'Etat de l'impartialité à laquelle l'exercice desdites charges les convie.
En l'occurence, il me semble donc que c'est à bon droit que l'animateur de l'Esprit public a déclaré : « Je prétends toutefois que ce choix ne m’empêchera pas plus de faire mon métier au plus près de l’exigence d’impartialité que leurs anciens engagements n’empêcheront ou n’empêchent M. Debré d’exercer avec le même souci les fonctions de président du Conseil constitutionnel, M. Seguin celles de premier président de la Cour des Comptes ou M. Boyon celles de président du Conseil Supérieur de l’audiovisuel ». Car il n'est pas de raisons pour lesquelles ce qui vaut pour les édiles dela République ne saurait valoir pour ceux qui sont chargés de rendre compte de leurs actions, sauf à ériger l'hypocrisie en principe comme le fit Tartuffe dans la maison d'Orgon.

Ainsi, j'espère que si d'aventure, Jack Lang redevient ministre de l'Education nationale, on continuera d'enseigner Tartuffe à l'école. Plus de 300 après, c'est définitivement très utile pour apprécier la politique.

Question bonus : est-ce une coincidence que les deux tartufferies soient liées à Bayrou ?

vendredi 23 février 2007

Brèves & programme

La campagne est maintenant vraiment lancée, les candidats sont quasiment à égalité, c’est bien. Ça me fait toujours rire d’entendre les politiques se plaindre des sondages (dont ils ne sont pas les derniers à passer commande) : au contraire, je trouve que les sondages généralement assez fiables (pour peu qu’on prenne la peine de tenir compte des marges d’erreur qu’ils comportent), surtout pour illustrer les tendances (c’est plus difficile pour évaluer les scores des candidats marginaux, ainsi que ceux dont l'électorat est volatile [Bayrou] ou peu prolixe sur son choix [Le Pen]).

Mais le fait est que la multiplication des sondages offre une caisse de résonance hallucinante à la moindre évolution : qu’un candidat soit en baisse, une quinzaine de sondages le mesure, amplifiant ainsi le caractère d’une baisse qui, parfois, ne peut être que passagère. Attendons-donc un peu avant de mettre François Bayrou au second tour : je fais le pari qu’il n’y sera pas (ce qui ne présage en rien de la qualité de ce qu’il propose, d’ailleurs), et je remarque que les deux principaux candidats conservent une base élevée au premier tour, ce qui est la vraie différence entre 2002 et 2007.
Eh, blogger, tu nous promis de t'astreindre à des analyses que je ne retrouve pas dans ces propos mondains ! Certes. J'y travaille. Et pour preuve de ma bonne foi, j'ai moi aussi un programme, que je te livre ci-après.
Si j’arrive à me procurer le texte du discours de Sarkozy sur l’Europe, j’essaierai d’en faire un commentaire dans un prochain billet : on parle pas beaucoup d’Europe ces derniers temps, et ça nous changera de Royal. A ce sujet, je n’abandonne ni l’ambition de compléter l’analyse du discours de Villepinte, ni le détail des 100 propositions de son pacte présidentiel. Un billet sur Sarko ce week-end, un autre sur Ségo en début de semaine : ça devrait pouvoir continuer à alimenter la réflexion sur la véritable nature du ségolénisme d’une part, du sarkozysme d’autre part. En attendant, on peut lire cet article.

Et Bayrou ? Encore une tentative d’exclure ce brave homme du débat ? Vu l’audience de ce blog, je pense pouvoir facilement écarter le soupçon de faire partie d’une gigantesque conspiration médiatique anti-Bayrou… mais quand même, il aura lui aussi le droit à un billet : je rassemble en ce moment du matos pour commenter, ça devrait pouvoir ce faire la semaine prochaine.

Avant ou après un commentaire sur l’extrême gauche, je ne sais pas : la France a la chance ( ?) de voir l’extrême gauche représentée par 4 candidats : un communiste, deux voire trois trotskistes, et un altermondialiste qui fédère des tendances assez hétéroclites mais me semble proposer une grille de lecture plus moderne, une sorte de trotskisme rénové et droit-de-l’hommisé plus à même de prendre en compte les « nouvelles radicalités » qui clivent la société. Ça mérite l’attention, non ?

mercredi 21 février 2007

Ségolène Royal sur TF1 : un nouveau type d'incarnation ?

Au-delà du format, sans doute impropre à stimuler une véritable réflexion politique, il me semble qu’il y a dans le passage de Ségolène Royal sur TF1 lundi dernier matière à réflexion quant au type de relation qu’instaurent les candidats avec leurs électeurs potentiels, et, au-delà, avec le peuple.
Le peuple ? Oui, le peuple : c’est bien lui qui semble avoir été mis en scène lundi, via cette adjonction hétéroclite de personnalités qui, chacune à leur tour, ont livré ce qui ressemblait davantage à des témoignages, fussent-ils poignants, qu’à de véritables interrogations susceptibles de placer la candidate dans une posture où elle aurait dû produire une analyse de la situation du pays et des moyens de l'améliorer. Face au peuple, Ségolène Royal : une guérisseuse, une mère... Bernadette Soubiroux ? Tant et si bien qu’on a pu faire référence au caractère thaumaturge de la guérison qu’elle semble avoir proposé à l’ensemble du corps social au travers de la personne d'un handicapé atteint de la sclérose en plaques (par exemple dans cet excellent billet sur Diner's room). Or faire référence au caractère thaumaturge, propriété des Rois, n’est pas innocent : le sous-jacent est que SR nous proposerait, au-delà du lien que crée l'élection entre l'ensemble des citoyens et leur plus haut représentant, une alliance transcendante d’essence royale (c’est le mot) entre le peuple et son souverain. Ce serait alors non pas le programme qui importe, mais le style de leadership que construit le candidat. Or fonder la relation politique sur une relation entre le peuple et l'homme plutôt que sur une analyse, c'est faire appel au mythe du « Grand homme » : le Grand homme, c'est celui qui, par sa personne et par l'adhésion qu'il emporte auprès du peuple, permet de réaliser les ajustements structurels que personne d'autre que lui n'aurait pu insuffler.

Est-ce nouveau ? Sûrement pas. La France aime les grands hommes, et ceux-ci le lui rendent bien, dans le succès ou l'échec. Voyons certains de ceux qui, bien qu’arrivés au pouvoir non par succession directe mais en raison des espoirs qu’ils avaient suscités chez leurs partisans, ont pu à la fois incarner et réussir un changement. Hugues Capet, désigné notamment pour la faiblesse de ses propres possessions, arrive au pouvoir soutenu par les grands du royaume après une élection pour n’être que leur primus inter pares ; il associe son fils au trône et crée ainsi l’un des rouages de la prospérité pluriséculaire des Capétiens [1]. Henri IV accède au trône presque par hasard ; il mène le pays sur la voie de la réconciliation religieuse. De Gaulle semble resurgir en 1958 comme général de pronunciamiento sur les pavois des ultras de l’Algérie française ; il dépose le bilan de la colonisation et poursuit la modernisation économique de la France. Même Mitterrand a réussi à sa façon : élu sur un programme pseudo-marxiste, il le désavoue (officieusement) 2 ans plus tard, ancre le PS comme parti de gouvernement apte à exercer la charge du pouvoir, et réalise avec l’Acte unique et Maastricht l’unité de l’Europe (sur une base libérale !). Tous ont fait acte de modernité, tous ont suscité au départ des attentes contradictoires sur la base desquelles ils ont accédé au pouvoir, aucun n’a annoncé son véritable dessein, tous l’ont mené au nom du lien qui les unissait à leur peuple, presque à l’insu de ce dernier.

Est-ce transposable ? Possible. Vous me direz, quel est ce grand dessein que le prochain président aurait à accomplir ? Eh bien, adapter les structures du pays aux mutations du capitalisme, prendre acte de ce que la concurrence fiscale, la croissance de la dette, la mondialisation, etc., restreignent les marges de manoeuvre de l'Etat mais également du fait que ce dernier a un rôle moteur à jouer dans l'adaptation du tissu productif du pays, dans sa spécialisation sur les marchés mondiaux... Pour un président de gauche, le défi serait double, puisqu'il faudrait aussi adapter le discours du parti dominant de la gauche à ces mêmes mutations dans l'objectif d'en faire une force de transformation crédible, ayant les bons outils intellectuels pour affronter la modernité. Or je tiens à mon analyse de la première partie du discours de Villepinte [2] : Ségolène semble posséder le bon diagnostic, et en a envoyé des signaux incontestables.

Et enfin, est-ce le cas ? Vous objecterez que Ségolène Royal a, au contraire, adopté une démarche inverse. Qu'elle a fait acte de modestie sur certains sujets, renonçant à se placer dans la posture je veux-je veux de son adversaire. Que les débats participatifs en sont l'illustration. Mais justement, je pense qu'il s'agit là de proposer une nouvelle forme d'incarnation, pas une analyse. Que les débats participatifs agissent en tant que cahiers de doléances, qu'ils permettent de passer du Roi de France à la Reine des Français (acquis de 1789 ?), je ne le conteste pas, mais justement, c'est davantage le type de relation, le type d'incarnation, qui est mis en valeur : voici le type de leader que je serai, faites-moi confiance, je vous mènerai sur les chemins bien fréquentés du progrès. C'est le mythe du grand homme, mais revivifié, mitonné à la sauce Royal (qui a bien appris de Mitterrand). Contrairement à certains, qui voient dans cette posture un déni des réalités et un refus coupable d'annoncer les réformes qui seront nécessaires (ce qui en mène plus d'un à la possibilité Bayrou), il me semble que le pari de cette incarnation est de faire passer la pilule de l'aggiornamento que le PS n'a pas encore totalement réalisé, mais auquel il me semble que SR souscrit plus ou moins officiellement.

Si c’est vrai, on peut objecter qu’il y avait une autre façon de s’y prendre. C’était de se positionner clairement pour la réforme, d’abord à l'intérieur même du PS pour lui faire rattraper son retard conceptuel par rapport à ses voisins européens, lui faire clarifier son rapport au libéralisme, etc. Puis c’était d’affronter le candidat de l’UMP projet contre projet, analyse contre analyse, vision contre vision. C’était, en somme, ce que que dit, a posteriori (ce qui fait quand même une différence), Eric Besson : accepter le réformisme de gauche, le proposer aux Français, se battre pour qu’il triomphe.

Cette méthode n’a pas été suivie ; je pense que c’est dommage. Peut-être l’histoire donnera-t-elle raison à Ségolène Royal. Peut-être la « reine thaumaturge » parviendra-t-elle, si elle est élue, à guérir la France de ses maux, à faire passer les ajustements nécessaires qu'impliquent les mutations du capitalisme sans nous en imposer la douleur de la prise de conscience. Peut-être. Mais, étant de nature assez sceptique à l'endroit des apprentis sauveurs, j'ai le droit de demander pour voir avant de voter.

1 J'assume le côté totalement anachronique de la comparaison avec Hugues Capet, où le "peuple" ne constitue qu'une projection a posteriori
2 J'en poursuivrai l'analyse sous peu, mais ça prend plus de temps que prévu, ces choses-là

lundi 19 février 2007

L'analyse du discours de Villepinte (1) : où l'on apprend que Ségolène a un programme, du courage, et un diagnostic économique

Je reprends où j'en étais resté hier, et je me lance dans l'analyse du discours. Et première surprise : Ségo commence plein pot sur la dette, et sur un diagnostic économique auquel je souscris entièrement : croissance de la dette et du déficit des comptes sociaux, mauvaise spécilisation de l'appareil productif, déficit du commerce extérieur (ça, en revanche, c'est pas si grave, je ferai un billet dessus un jour), atonie de l'investissement productif. Placer l'entière responsabilité de cet état de fait sur la droite n'est pas très sport, mais ne rêvons pas, on est en campagne électorale, pas au coin du feu chez mémé, et, alors que la France allait plutôt mieux que ses voisins sous Jospin, c'est l'inverse maintenant.

Ce diagnostic est ponctué par des références répétées et soutenues aux PME, à l'innovation, à l'inventivité. Par exemple : « nous sommes un pays d'excellence technologique où pas un jour ne passe sans que les hommes et les femmes se lancent pour donner corps à un projet créateur d'activité, de valeur, et d'emploi. Je suis reconnaissante à ces enterpreneurs du risque qu'ils prennent et qui permet de créer, chaque année, les emplois que la mondialisation financière déplace ». Ou encore : « nous sommes la cinquième puissance économique mondiale. Nous devons ce rang au travail des Français qui innovent, prennent des risques, et travaillent dur ». Décoiffant, non, cet hymne à la puissance économique, dans la bouche d'un candidat socialiste ? En tout cas, commencer par ce thème absolument pas fédérateur alors qu'elle jouait gros sur ce meeting, c'est assez bluffant : elle aurait éructé "le SMIC à 1500 € tout de suite et à bas les patrons voyous" que la salle aurait été en transe de suite. Elle ne l'a pas fait.

On remarque en passant la construction d'un modèle et d'un anti-modèle : le bon entrepreneur, appartenant à une petite entreprise innovante (s'il habitait dans le Poitou, ça serait encore mieux), et qui créé de l'emploi, contre la « mondialisation financière » qui « déplace » les emplois créés par les bons. Comprendre : vous travaillez, ils viennent et pillent (« entendez-vous, dans les campagnes, mugir ces féroces soldats ! Ils viennent jusque dans vos bras, égorgez vos filles et vos compagnes, et vous volez les emplois que vous avez créés »). Cela dit, moquer de ce manichéisme est assez facile, mais point trop n'en faut : la dimension morale du travail est une des bases de l'identité socialiste, et c'est émminement respectable.

Toujours dans le côté novateur, cette critique de l'inefficacité de l'Etat : « nous avons un Etat qui est devenu beaucoup trop lourd (...) il faut en finir avec cette lourdeur de l'Etat central qui engendre toujours plus de textes législatifs ou réglementaires – et des textes qui, bien souvent, sont à la fois illisibles et inutiles ». C'est même un peu gonflé, sachant que Ségo a inscrit au nombre de ses 100 propositions un certains nombre de doublons législatifs (obésité, violences faites aux femmes) ou réglementaires (indices de prix diversifiés). Mais quand même, la réforme de l'Etat est par nature impopulaire, puisque cela signifie qu'il faut augmenter la productivité d'icelui, et là, rien n'est dit sur le comment de la chose (des esprits persifleurs pourraient faire remarquer qu'on devrait y arriver en ne remplaçant pas un fonctionnaire sur deux, mais rassurez-vous, ils n'ont pas droit de cité ici). Perso, je trouve ça très bien, et je pense qu'on peut réformer l'Etat tout en conservant un ratio sphère public / sphère privée similaire : c'est le choix social-démocrate, comme je l'exprimai dans ce précédent billet.

Girondine, personne ne peut plus suspecter Ségolène Royal de ne pas l'être. « Et tant pis pour ce vieux jacobinisme qui est l'un des démons les plus malins de ce pays » : Chevènement appréciera... On peut n'y voir que posture électorale (la province contre Paris), mais je ne crois pas : à gauche, le culte de l'Etat est suffisamment fort pour que la proposition d'une nouvelle vague de décentralisation puisse constituer un pari sans risque. C'est donc qu'elle y tient. Brissot, tu es vengé !

On ne parle plus du « syndicalisme de masse » que Ségo avait appelé de ses voeux lors de la fête de la Rose (lien), mais le dialogue social est mentionné : « créer ce vrai dialogue social qui reste, en France, terriblement archaïque » ou bien « je m'engage à tout faire pour qu'un nouvel essor soit donné à la démocratie sociale et au dialogue social constructif qui va avec ». Il me semble que ce problème est LE problème principal : nous avons le taux de syndicalisation le plus bas de l'OCDE, et encore : le public relève le niveau. Or c'est dans le privé, là où est l'argent, là où se font les profits, qu'il est primordial de discuter, de partager, de construire. Je ne peux donc qu'applaudire frénétiquement à cette proposition.

Last but not least, le rôle dévolu à l'innovation et à la recherche. Tout d'abord, il y les chiffres : orienter les aides aux enterprises vers la recherche, augmenter le budget de la recherche de 10 % par an, mesures fiscales visant « encourager les enterprises à innover et à faciliter leur accès au financement bancaire » (on remarque que, de financement boursier, nulle trace, alors qu'on est dans un économie de plus en plus désintermédiée, mais bon). En tout cas, voilà l'ersatz d'une politique de l'offre, supply-side comme on dit outre-atrlantique. C'est bien : dans toutes les nouvelles théories de la croissance, on distingue bien les politiques de demande (mesures de relance, politiques conjoncturelles), qui visent à rapprocher la croissance de son niveau tendanciel, des politiques de l'offre (mesures d'allocation, structurelles), qui influent sur le niveau tendanciel de la croissace. Et là, pour une fois, on a une politique de l'offre. Oh certes, pas surdimmensionnée, pas démesurée, timide. Mais elle est là quand même. Pour votre serviteur, ce soir, c'est la bonne nouvelle de la campagne.

Voilà pour le côté positif. Mais Ségo peut aussi passer du côté obscur : demain !

dimanche 18 février 2007

Le discours de Villepinte : les termes du débat

Ségolène, incarnation du socialisme keynéso-révolutionnaire à la française, ou figure de proue de la sociale-démocratie et du socialisme réformiste ? Cela fait une semaine que je lis et relis le discours de Villepinte, et je n'ai toujours pas tranché. En fait, cette confusion est probablement voulue : Ségolène en tant que synthèse des deux grandes tendances du socialisme français, comme naguère Mitterand fut l'homme qui montra que la gauche avait la crédibilité requise pour gouverner, c'est probablement l'image que Villepinte voulait ancrer dans les esprits. Si l'on part du postulat (arbitraire, mais peut-être assez adapté) que pour gagner il faut 1/ un socle électoral large et stable 2/ une stature de présidentiable 3/ de l'originalité, ou quelque chose qui fasse la différence, disons que Ségolène avait le 3/ (c'est comme ça qu'elle a gagné la primaire, par son discours novateur, sa distance affichée par rapport à la doctrine) et l'a gardé (débat participatif, perception (érronée) dans l'opinion comme une personnalité hors du sérail de la vie politique parisienne, etc.), et que l'objectif de sa campagne, c'est de solidifier le 1/ et d'acquérir le 2/. J'interprète son discours comme participant d'un effort de présidentiabilisation de la candidate (capacité à traiter les grands enjeux, positionnement sur la question de la dette, etc.), et ses propositions comme un socle pour rassembler son camp et, au-delà, toute la gauche.

Voilà pour la technique électorale. Mais la question qui m'intéresse davantage, c'est celle de la doctrine. Pour résumer, je vois que PS comme traversé par deux courants assez antagonistes : il y a un courant réformateur, 2ème gauche, social-démocrate, mendésiste, rocardien, pro-européen (au sens de la construction actuelle de l'Europe, s'entend, sinon je vais me faire taper dessus par les nonistes), etc. Face à cela se dresse un autre courant plutôt anti-libéral, voyant le socialisme comme une rupture par rapport au modèle économique capitaliste (et pas seulement comme une régulation, même convaincante, de ce dernier), plutôt 1ère gauche, n'ayant jamais fait véritablement son deuil de l'économie dirigée, protectioniste, mitterandien d'un point de vue économique. Grosso modo, le 1er courant constitue la base de DSK, le second celle de Fabius. Et puis il y a un centre qui « défend » un certain nombre de points durs, les fondamentaux de l'identité socialiste : la laïcité, la défense de l'enseignement public, l'attachement à la notion de service public à la française, etc.. La particularité du PS, c'est que sa ligne officielle semble généralement résulter d'une alliance entre le centre et la 1ère gauche, autour d'une rhétorique emprunte de nostalgie révolutionnaire, de stigmatisation du « clivage droite-gauche », etc., tandis que sa pratique du pouvoir s'apparente plutôt à la sociale-démocratie, et fonctionne comme une alliance entre la droite du parti et son centre. Cette pratique n'est en fait que rarement assumée dans le discours : quand elle l'est, on hurle à la traitrise par rapport aux idéaux, à la compromission face au marché (voir les réactions au « l'Etat ne peut pas tout » de Jospin). Pourquoi ? Parce que figure également dans les fondamentaux de l'identité socialiste – et donc dans l'héritage que défend le centre du PS – une appétence révolutionnaire, l'idée que, dans le fond, c'est la révolution qu'on poursuit, et pas n'importe quelle révolution, la Révolution avec un grand R, la glorieuse Révolution de 1789, toujours en cours, jamais achevée. Du coup, le PS (sous la pression de l'autre gauche, qu'on appelle aujourd'hui poétiquement la « gauche de la gauche ») demande à son leader de faire allégeance à cette rhétorique, ce qui aboutit au comportement schyzofrène précédemment décrit. Pour avoir tenté de s'affranchir de cette règle, Lionel Jospin a perdu la présidentielle. Pour avoir voulu réaliser l'alliance de la gauche du PS et de son centre autout d'un discours social-démocrate assumé, Michel Rocard a toujours fait figure de traître en puissance, et le PS lui a préféré Miterrand, qui, lui, a parfaitement joué de cette dualité, pour s'imposer en 1981 sur la base d'un discours qui n'eut finalement que peu de rapport avec la pratique qui faut régularisée dès le « tournant » de 1983.

Ce qui m'intéresse dans la candidature de Ségolène, c'est de savoir comment elle va gérer cette dualité. Il y a plusieurs indices pour dire que Ségolène Royal est parfaitement consciente de ce problème. Pour moi, elle est intellectuellement dans le « camp » de la 2ème gauche : elle est réformiste, pas révolutionnaire ; sociale-démocrate plutôt que néo-marxiste ; girondine plutôt que jacobine. Elle a « pris » le PS en refusant de s'inscrire par rapport ligne de clivage, et bien le lui en a pris : elle a su fédérer toutes les tendances en alliant un bref hommage à Blair (2ème gauche) et une dénonciation des délocalisation (1ère gauche), surtout, elle a fait de sa différence un atout pour laisser dans l'oubliette ce fameux clivage qui empoisonne le PS depuis tant d'années.

Fort bien. Mais ce que je veux savoir, c'est si, dans sa campagne, SR va tenir un discours de première gauche pour gouverner en tant que sociale-démocrate, ou si elle assumera le discours réformateur. Parce que, l'effet de mode passé, on s'aperçoit bien que la nouveauté qu'elle semblait incarner ne joue plus, ou en tout cas pas assez pour la faire gagner : il faut trouver autre chose, et on sent bien depuis la semaine dernière qu'on s'oriente vers une campagne plus classique. Or qui dit campagne classique dit programme économique, propositions détaillée, etc. Il va donc falloir choisir. Et les termes de l'alternative sont simples : soit le discours habituel, avec possibilité de rassembler autour d'un clivage droite-gauche assumé, soit assumer le discours réformateur, ce qui dit problèmes pour faire le plein dans son propre camp, mais une ouverture au centre plus facile pour le second tour. Vous l'aurez compris, votre serviteur a déjà choisi : c'est un discours réformateur assumé qui procurera à la candidate socialiste le mandat pour gouverner le plus fort, car pouvant êter suivi d'effet. Sinon, SR prendrait un risque très important : celui de gagner. Or que pourrait-elle construire sur le socle d'une telle victoire à la Pyrrhus ?

Voilà donc, ô lecteur qui a lu jusqu'ici, la problématique autour de laquelle le discours de Villepinte de SR doit être évalué. On s'y colle ?

vendredi 16 février 2007

Coming soon

Je forme une entreprise qui n'eut jamais d'exemple et dont l'exécution n'aura point d'imitateur.
Je veux montrer à mes semblables un programme présidentiel dans toute la vérité de la nature ; et ce programme ce sera celui de Ségolène.
Lui seul. Je sens son cœur et je connais les programmes présidentiels. Il n’est fait comme aucun de ceux que j'ai vus ; il ose croire n'être fait comme aucun de ceux qui existent. S’il ne vaut pas mieux, au moins il est autre. Si la nature a bien ou mal fait de briser le moule dans lequel elle l'a jeté, c'est ce dont on ne peut juger qu'après l'avoir lu.
Que la trompette du Premier tour sonne quand elle voudra, je viendrai, les 100 propositions de Ségolène Royal à la main, me présenter devant le souverain isoloir. Je dirai hautement : " Voilà ce que j'ai fait pour les comprendre, ce que j'ai pensé en les lisant, ce que je fus en les commentant. J'ai dit le bien et le mal à leur sujet avec la même franchise. Je n'ai rien tu de mauvais, rien ajouté de bon, et s'il m'est arrivé d'employer quelque ornement indifférent, ce n'a jamais été que pour remplir un vide occasionné par mon défaut de mémoire ; j'ai pu supposer crédible ce que je savais avoir pu l'être, jamais ce que je savais être faux. J’ai montré les 100 propositions telles qu’elles furent ; méprisables et viles quand elle l'ont été, bonnes, généreuses, sublimes, quand elles l'ont été : j'ai dévoilé leur intérieur tel que tu l'as vu toi-même. Etre éternel, rassemble autour de moi l'innombrable foule de mes semblables bloggeurs ; qu'ils écoutent mes confessions, qu'ils gémissent de mes indignités, qu'ils rougissent de mes misères. Que chacun d'eux découvre à son tour son cœur aux pieds de ton trône avec la même sincérité ; et puis qu'un seul te dise, s'il l'ose : " Je fus meilleur lecteur des 100 propositions de Ségolène Royal que cet homme-là. "

Première salve demain !

PS : merci Jean-Jacques

mercredi 14 février 2007

Le Roi est mort ! Vive le Roi !

Au moment où, un peu partout, on instruit de procès en ringardise de Jacques Chirac, le candidat de l'UMP n'ayant pas été le dernier à y participer, il est frappant de constater que la rupture dont celui-ci s'est fait le champion laisse de plus en plus la place à un mix entre les revendications classiques de la droite (moins d'impôts) et une forme de gaullisme social que l'hôte de l'Elysée ne renierait pas. Sarkozy, un chiraquien ? Mais non, me direz-vous, c'est un affreux libéral. Vous pointerez que, afin de stigmatiser le danger qu'il est supposé incarner, les opposants à NS aiment à le qualifier que néo-quelque chose. « Néo-libéral » (sur le terrain économique), « néo-conservateur » (politique étrangère), « néo-réactionnaire » (questions de société), voire « néo-fasciste » (immigration, sécurité, délinquance) : quels que soient les sujets, Sarko est un « néo-truc ». Je reviendrai un de ces jours sur ce que m’inspire cette stratégie (et notamment sur le rapport Besson), et la propension de la classe politique à donner du « néo » à tout bout de champ. Mais pour l’instant, s’il y a quelque chose de certain, c’est que le positionnement de Sarko depuis son entrée en campagne n’est rien de tout cela. En fait, et c’est bien pire, s’il faut absolument mettre du néo dans cette histoire, c’est alors de néo-chiraquisme qu’il s’agit.

Je m’explique. L'UMP a beau jeu d’attaquer les propositions de Ségolène Royal, c’est de bonne guerre : s’interroger sur le coût du programme de la gauche, et tancer un parti socialiste sur sa modernité économique, c’est une stratégie classique de la droite dans tous les pays du monde. Pourtant, cela serait encore plus efficace si, côté UMP, le programme avancé était un modèle de vertu. Or force est de constater que le candidat Sarkozy semble plutôt s’inscrire dans les pas de la fracture sociale version 1995, avec son cortège de promesses contradictoires et son "gaullisme social" que l'actuel occupant de l'Elysée a peut-être sincèrement souhaité mais qu'il n'a jamais réussi à traduire en une politique cohérente. Témoin la promesse de réduire de taux de TVA à 5 % pour la restauration (c'était déjà une grosse arnaque de l'ami Chirac en 2002, puisque l'unanimité des 25 est requise au niveau européen sur ce domaine et que l'Allemagne s'y oppose de longue date, ça l'est encore plus maintenant que toute le monde le sait). Témoin aussi sa récente promesse de réduire de 4 points de PIB le taux des prélèvements obligatoires en France : 4 points de PIB, c'est, comme le montre Thomas Piketty, 4 fois le budget de la recherche, ou une réduction de moitié des dépenses de santé. Si l'on est, comme NS, plutôt de l'avis que l'Etat doit continuer à s'occuper de beaucoup de choses (qui a dit que Sarko était libéral ?), c'est complètement irréalisable.
A ce sujet, il convient en outre de préciser que, si le niveau des prélèvements obligatoires en France est effectivement important à l'échelle européenne, ce n'est pas le plus élevé comme on l'entend souvent (en 2002, la Belgique, l'Autriche, la Finlande, le Danemark, la Norvège, et la Suède étaient au-dessus - ce ne sont d'ailleurs pas les pays qui réussissent le plus mal sur le terrain économique -), et que, en plus, ce niveau traduit souvent davantage un choix sociétal (entre ce qui relève du bien public et ce qui doit rester dans le domaine privé) qu'une mesure de l'efficacité de l'état. En France, par exemple, la fonction assurantielle (vieillesse, santé, emploi), absorbe environ 10 % du PIB financé par les prélèvements publics, alors l'assurance sociale est, au Royaume-Uni, largement du ressort de l'assurance privée... Ce qui explique en grande partie pourquoi on est autour de 44 % du PIB en France et vers 38 % outre-manche.

Il n'y a, finalement que deux choix viables : soit le maintien du niveau de prélèvement actuel accompagné d'un amélioration de la productivité de la sphère publique (c'est le choix social-démocrate), soit une baisse du niveau des prélèvements correspondant à une répartition public/privé différente (c'est le choix libéral). Le rôle d'un responsable politique aspirant à la fonction suprême devrait être de proposer un arbitrage. Nicolas Sarkozy, lui, a choisi de ne pas choisir. Son programme s'apparente de plus en plus à un catalogue de propositions hétéroclites visant plutôt l'addition des clientèles que la définition d'une politique dont le pays a pourtant bien besoin.

Alors, est-il vraiment besoin de qualifier Sarkozy de néo-qqch, ou de "gaullo-bushiste", comme y cède sur la fin de son article le pourtant excellent Piketty, pour montrer à quel point son programme économique n'est pas crédible ? Pas forcément. Mais, si comparaison il doit y avoir, pourquoi choisir De Gaulle ou Bush ? en matière de confusion des genres, c'est encore Jacques Chirac la référence.

PS : spéciale dédicace à Laurent