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mardi 24 avril 2007

Le boulevard social-démocrate

Le centre sera absent du second tour de l'élection présidentielle. Mais, paradoxalement, l'élimination de François Bayrou offre, à compter d'aujourd'hui, un bouolevard à la sociale-démocratie. Un boulevard qui peut mener la gauche à la victoire, le Parti socialiste à la rénovation, et une équipe moderne à l'Elysée. Un boulevard qu'il n'appartient qu'à elle d'empreinter résolument.

Quelle est la situation, ce matin ? Le candidat de l'UMP a réussi son pari : à plus de 31 % des voix, il explose la base électorale de Jacques Chirac, et réincorpore dans le jeu républicain une partie des électeurs Le Pen. Il capte une grande partie de l'électorat ouvrier. Il est fort là où le sentiment de relégation est important (anciennes zones industrielles, monde rural en voie de désertification, etc.), là où les gens sont plutôt vieux (le sud de la France), là où ils sont plutôt (très) riches (ouest parisien, banlieue pavillonnaire). Mais pour réussi ce pari, Nicolas Sarkozy a brûlé ses vaisseaux. En droitisant son discours, il s'est aliéné une partie de l'électorat de la sphère d'influence de la droite libérale et du centre démocrate-chrétien. Ces électeurs peuvent lui manquer : rien ne dit qu'ils pardonneront à NS ses algarades sur le terrain sécuritaire, sa brutalité, son mépris des corps intermédiaires, sa suspicion envers l'appareil judiciaire, son peu de cas des droits de la défense, bref : tout ce qu'un vrai libéral ne saurait tolérer.

L'électorat de François Bayrou apparaît composé de plusieurs strates. D'une part, le fond démocrate-chrétien, les héritiers de Lecanuet, de Barre, dans une moindre mesure de VGE et Balladur. Ceux-ci ont un tropisme davantage tourné vers la droite. Si la logique du vote est majoritaire, ils iront vers l'UMP. Mais pas tous. Outre ceux qui ont été séduits par la dimension anti-système du candidat (pas tant que ça selon moi, voir notamment l'interview de Pascal Perrineau sur le Monde selon lequel la géographie du vote Bayrou met en lumière de grandes permanence avec le vote démocrate-chrétien des années 1950 aux 70s), beaucoup viennent de la gauche. Déçus par le retard idéologique du parti socialiste, qui peine selon eux à prendre acte de la chute du mur de Berlin, de la défaite du marxisme, de la mondialisation, etc., leur vote a pour ambition de peser sur le logiciel socialiste. Ces électeurs, lassés que l'extrême gauche occupe sur le terrain doctrinal un poids inversement proportionnel à sa crédibilité en tant que force de gouvernement ou même son poids électoral, fatigués d'être taxés de sociaux-traitres s'ils émettent une proposition économiquement raisonnable, ont trouvé dans Bayrou un moyen de pression. Ils ont gagné : aujourd'hui, ils constituent la vraie réserve de voix qu'il convient pour Ségolène Royal de conquérir.

Car si Ségolène Royal a fait un bon score, celui-ci n'est pas révolutionnaire : elle est forte là où la gauche est historiquement implantée, comme dans le Limousin et le Midi-Pyrénées, terres historiques d'implantation radicale puis socialiste. Alors que Nicolas Sarkozy a, lui, déjà dépassé les bases strictes des chasses gardées de la droite. On compare le score de SR à celui de François Mitterrand. Ce serait oublier que celui-ci disposait d'une réserve de 15 % à sa gauche. Autres temps, autres mœurs : c'est maintenant au centre qu'ils se trouvent.

Ainsi, Ségolène Royal doit faire un geste fort vers le centre, ne serait-ce que pour des raisons tactiques : le TSS (tout sauf Sarkozy) pourra fédérer l'extrême gauche et les plus à gauche de l'électorat de François Bayrou, mais cela ne sera pas suffisant pour gagner. Et même si ça l'était, pour quelle victoire ? Une alliance conjoncturelle de rejet ne donne pas de mandat pour gouverner, Jacques Chirac est bien placé pour le savoir, lui qui transforma ses 82 % en quinquennat de la déception. Non, définitivement, une victoire d'adhésion est plus souhaitable que jamais.

Pour des raisons idéologiques, enfin, une recomposition à gauche est souhaitable. Le PS, faute d'avoir opéré dans son discours les corrections nécessaires à une mise en adéquation de celui-ci avec sa pratique gouvernementale, vit dans une schizophrénie permanente. L'ambition et le remords, pour reprendre l'ouvrage magistral d'Alain Bergounioux et Gérard Grunberg. Difficile, dans ces conditions, de gouverner sereinement : la peur de trahir prédomine. Corollaire : le socialisme français a perdu beaucoup de son influence en Europe, s'il en a jamais eu. Et quand il s'agit de réécrire la directive Bolkestein (qui, pour le coup, est un texte majeur du point de vue économique), c'est le SPD qui s'y colle, le PS français, inaudible, assistant en spectateur. Influence 0, donc. Cette situation n'est pas insurmontable.

Pour toutes ces raisons, je pense que la sociale-démocratie bénéficie aujourd'hui d'un boulevard sans précédent en France. Dominique Strauss-Kahn aurait probablement été à même de transformer l'essai. Ségolène Royal le peut également, sans forcément y même la même intensité idéologique. Elle devra pour cela vaincre les logiques d'appareil qui continuent de prédominer au Parti socialiste, ainsi que la culture bloc contre bloc héritée des années 70/80 et de l’ancienne influence du communisme. Les jours qui viennent diront si elle peut transformer l'essai. En réponse à un billet précédent, le socialisme de gouvernement sera social-démocrate ou ne sera pas.

dimanche 25 février 2007

Tartuffes

Il est de ces moments où, sans être complètement naïf, on aimerait que ça se passe autrement. Où l'on constate que l'honnêtété intellectuelle, même la plus élémentaire, n'est pas au rendez-vous chez ceux de qui on l'attend en priorité. Où la manoeuvre apparaît grosse, très grosse, tellement grosse que l'on cherche en vain, sur le visage de celui qui l'a amorcé, le pourpre qui devrait légitimement venir y prendre place. Mais las ! rien ne vient. En somme, il est des formes d'hypocrisie qu'on aimerait voir bannies du débat public, des tartufferies que, faute de pouvoir empêcher, on peut au moins tenter de dénoncer.


1/ De la charge anti-Bayrou de certains membres du Parti socialiste, et notamment des commentaires du citoyen député du Pas-de-Calais

"Le Ciel défend, de vrai certains contentements ;
Mais on trouve, avec lui, des accomodements ;
Selon divers besoins, il est une science
D'étendre les liens de notre conscience
Et de rectifier le mal de l'action
Avec la pureté de notre intention.
De ces secrets, Madame, on vous saura instruire
Vous n'avez seulement qu'à vous laisser conduire"
.

Jusqu'il y a peu, la progression de François Bayrou dans les sondages laissait au mieux indifférent, suscitant plutôt la raillerie. Et puis, l'idée que le candidat centriste pourrait être présent au second tour, voire raffler la mise, s'est, sinon imposée, du moins vue reconnaître moins délirante. On a pu entendre, d'abord sous forme de boutade, puis sur un ton un peu plus sérieux, que le député béarnais pourrait représenter une alternative à un duo un peu prévisible. Mais surtout, faute sacrée ! des électeurs de gauche se sont dit tentés. Et le clown est devenu danger.
C'est comme cela que j'interprète la récente charge concertée des principaux ténors socialistes (à l'exception de Kouchner) contre le vote Bayrou. La méthode employée est simple. Martèlement du "clivage droite-gauche" érrigé en principe sacré. Exhaltation du progrès (nous, détenteurs du dogme) contre la régression (autrui). Utilisation (facile) de l'épouvantail « libéral » pour se dispenser d'une analyse ultérieure. Refus de considérer l'irréductibilité de chacun des opposants (tous dans le même sac, c'est plus facile). Assimilation du doute (salutaire, si j'ai bien lu Descartes) à la "confusion" ou à "complaisance" (Jack Lang). Réduction du sympathisant hésitant à un traître en puissance.
Ainsi, être socialiste, ce serait confondre dans une même stigmatisation tous ses adversaires, ce serait recourir à la vieille stratégie de l'anathème pour mieux disqualifier tout en se dispensant d'une quelconque analyse, ce serait préférer se draper dans un virginité doctrinale (moi, la gauche, le progrès) plutôt que d'engager la discussion. C'est ce que semble croire un ancien ministre de la Culture et de l'Education nationale, qui a ajouté la tentative d'intimidation à l'hypocrisie en qualifiant FB de candidat "attrape-benêts". On voit bien la manoeuvre : culpabilisation de l'électeur potentiel, jugé coupable (sans procès contradictoire) de trahir le camp auto-proclamé du progrès pour aller rejoindre le loup libéral.
Mais, si je ne m'abuse, on va à l'école pour réfléchir et apprendre à devenir citoyen, M. le ministre. Et la culture dont vous vous faites le héaut doit stimuler la réflexion, pas l'anihiler. C'est rendre peu de grâce à l'Ecole dont vous vantez tant les mérites que de la créditer de si piètres performances quant à la formation des futurs citoyens que de nous penser incapables de distinguer l'anathème de l'argument. Et, si aujourd'hui, un certain nombre d'électeurs qui ont pour tradition de donner leur voix au Parti socialiste se tournent vers François Bayrou, sachez, M. le député, que ce sera en benêts assumés, et que vous y serez pour beaucoup.

2/ De la suspicion d'un journaliste politique et d'un possible parallèle avec de récentes nominations à la présidence de prestigieuses institutions de la République

« Et le mal n'est jamais que dans l'éclat qu'on fait
Le scandale du monde est ce qui fait l'offense
Et ce n'est pas pécher que pécher en silence
»

On a abondamment commenté la suspension d'Alain Duhamel de ses fonctions à France Télévisions et RTL suite à des propos tenus devant des étudiants de Sciences-Po Paris. La sanction est apparue, à beaucoup, infondée (ainsi que, d'ailleurs, la réaction du journaliste suspendu), voire révélatrice d'un surcroît de complaisance envers les divers soutiens aux deux principaux candidats et preuve, s'il en est, de l'acuité de la critique de la sphère médiatique proposée par le candidat centriste. Réagissant à cette éviction dans sa chronique de fin d'émission (l'Esprit public sur France culture), Philippe Meyer a ce matin dressé un parallèle entre, d'une part, cette éviction, et d'autre part l'accession MM. Debré et Boyon aux présidences respectives du Conseil constitutionnel et du CSA. Je ne sais s'il faut prendre au sérieux la proposition du journaliste de Radio France que chaque journaliste suivant les affaires publiques déclare son intention de vote, aux fins d'une plus grande confiance des citoyens envers les journalistes ; mais je souscris en revanche tout à fait au jugement selon lequel il est fait deux poids deux mesures en suspendant un journaliste de ses fonction du fait d'une intention de vote avouée (cette intention de vote ne s'étant pas traduit en véritable soutien) tout en admettant que l'appartenance (tout juste) passée à une famille politique, attestée par des charges publiques, ne soit pas à même de priver les titulaires des grandes magistratures de l'Etat de l'impartialité à laquelle l'exercice desdites charges les convie.
En l'occurence, il me semble donc que c'est à bon droit que l'animateur de l'Esprit public a déclaré : « Je prétends toutefois que ce choix ne m’empêchera pas plus de faire mon métier au plus près de l’exigence d’impartialité que leurs anciens engagements n’empêcheront ou n’empêchent M. Debré d’exercer avec le même souci les fonctions de président du Conseil constitutionnel, M. Seguin celles de premier président de la Cour des Comptes ou M. Boyon celles de président du Conseil Supérieur de l’audiovisuel ». Car il n'est pas de raisons pour lesquelles ce qui vaut pour les édiles dela République ne saurait valoir pour ceux qui sont chargés de rendre compte de leurs actions, sauf à ériger l'hypocrisie en principe comme le fit Tartuffe dans la maison d'Orgon.

Ainsi, j'espère que si d'aventure, Jack Lang redevient ministre de l'Education nationale, on continuera d'enseigner Tartuffe à l'école. Plus de 300 après, c'est définitivement très utile pour apprécier la politique.

Question bonus : est-ce une coincidence que les deux tartufferies soient liées à Bayrou ?