Il est de ces moments où, sans être complètement naïf, on aimerait que ça se passe autrement. Où l'on constate que l'honnêtété intellectuelle, même la plus élémentaire, n'est pas au rendez-vous chez ceux de qui on l'attend en priorité. Où la manoeuvre apparaît grosse, très grosse, tellement grosse que l'on cherche en vain, sur le visage de celui qui l'a amorcé, le pourpre qui devrait légitimement venir y prendre place. Mais las ! rien ne vient. En somme, il est des formes d'hypocrisie qu'on aimerait voir bannies du débat public, des tartufferies que, faute de pouvoir empêcher, on peut au moins tenter de dénoncer.
1/ De la charge anti-Bayrou de certains membres du Parti socialiste, et notamment des commentaires du citoyen député du Pas-de-Calais
"Le Ciel défend, de vrai certains contentements ;
Mais on trouve, avec lui, des accomodements ;
Selon divers besoins, il est une science
D'étendre les liens de notre conscience
Et de rectifier le mal de l'action
Avec la pureté de notre intention.
De ces secrets, Madame, on vous saura instruire
Vous n'avez seulement qu'à vous laisser conduire".
Jusqu'il y a peu, la progression de François Bayrou dans les sondages laissait au mieux indifférent, suscitant plutôt la raillerie. Et puis, l'idée que le candidat centriste pourrait être présent au second tour, voire raffler la mise, s'est, sinon imposée, du moins vue reconnaître moins délirante. On a pu entendre, d'abord sous forme de boutade, puis sur un ton un peu plus sérieux, que le député béarnais pourrait représenter une alternative à un duo un peu prévisible. Mais surtout, faute sacrée ! des électeurs de gauche se sont dit tentés. Et le clown est devenu danger.
C'est comme cela que j'interprète la récente
charge concertée des principaux ténors socialistes (à l'exception de Kouchner) contre le vote Bayrou. La méthode employée est simple. Martèlement du "clivage droite-gauche" érrigé en principe sacré. Exhaltation du progrès (nous, détenteurs du dogme) contre la régression (autrui). Utilisation (facile) de l'épouvantail «
libéral » pour se dispenser d'une analyse ultérieure. Refus de considérer l'irréductibilité de chacun des opposants (tous dans le même sac, c'est plus facile). Assimilation du doute (salutaire, si j'ai bien lu Descartes) à la "confusion" ou à "complaisance" (Jack Lang). Réduction du sympathisant hésitant à un traître en puissance.
Ainsi, être socialiste, ce serait confondre dans une même stigmatisation tous ses adversaires, ce serait recourir à la vieille stratégie de l'anathème pour mieux disqualifier tout en se dispensant d'une quelconque analyse, ce serait préférer se draper dans un virginité doctrinale (moi, la gauche, le progrès) plutôt que d'engager la discussion. C'est ce que semble croire un ancien ministre de la Culture et de l'Education nationale, qui a ajouté la tentative d'intimidation à l'hypocrisie en qualifiant FB de candidat "attrape-benêts". On voit bien la manoeuvre : culpabilisation de l'électeur potentiel, jugé coupable (sans procès contradictoire) de trahir le camp auto-proclamé du progrès pour aller rejoindre le loup libéral.
Mais, si je ne m'abuse, on va à l'école pour réfléchir et apprendre à devenir citoyen, M. le ministre. Et la culture dont vous vous faites le héaut doit stimuler la réflexion, pas l'anihiler. C'est rendre peu de grâce à l'Ecole dont vous vantez tant les mérites que de la créditer de si piètres performances quant à la formation des futurs citoyens que de nous penser incapables de distinguer l'anathème de l'argument. Et, si aujourd'hui, un certain nombre d'électeurs qui ont pour tradition de donner leur voix au Parti socialiste se tournent vers François Bayrou, sachez, M. le député, que ce sera en benêts assumés, et que vous y serez pour beaucoup.
2/ De la suspicion d'un journaliste politique et d'un possible parallèle avec de récentes nominations à la présidence de prestigieuses institutions de la République
« Et le mal n'est jamais que dans l'éclat qu'on fait
Le scandale du monde est ce qui fait l'offense
Et ce n'est pas pécher que pécher en silence »
On a abondamment commenté la suspension d'Alain Duhamel de ses fonctions à France Télévisions et RTL suite à des propos tenus devant des étudiants de Sciences-Po Paris. La sanction est apparue, à beaucoup,
infondée (ainsi que, d'ailleurs, la réaction du journaliste suspendu), voire révélatrice d'un surcroît de complaisance envers les divers soutiens aux deux principaux candidats et preuve, s'il en est, de l'acuité de la critique de la sphère médiatique proposée par le candidat centriste. Réagissant à cette éviction dans sa chronique de fin d'émission (
l'Esprit public sur France culture), Philippe Meyer a ce matin dressé un parallèle entre, d'une part, cette éviction, et d'autre part l'accession MM. Debré et Boyon aux présidences respectives du Conseil constitutionnel et du CSA. Je ne sais s'il faut prendre au sérieux la proposition du journaliste de Radio France que chaque journaliste suivant les affaires publiques déclare son intention de vote, aux fins d'une plus grande confiance des citoyens envers les journalistes ; mais je souscris en revanche tout à fait au jugement selon lequel il est fait deux poids deux mesures en suspendant un journaliste de ses fonction du fait d'une intention de vote avouée (cette intention de vote ne s'étant pas traduit en véritable soutien) tout en admettant que l'appartenance (tout juste) passée à une famille politique, attestée par des charges publiques, ne soit pas à même de priver les titulaires des grandes magistratures de l'Etat de l'impartialité à laquelle l'exercice desdites charges les convie.
En l'occurence, il me semble donc que c'est à bon droit que l'animateur de l'Esprit public a déclaré : « Je prétends toutefois que ce choix ne m’empêchera pas plus de faire mon métier au plus près de l’exigence d’impartialité que leurs anciens engagements n’empêcheront ou n’empêchent M. Debré d’exercer avec le même souci les fonctions de président du Conseil constitutionnel, M. Seguin celles de premier président de la Cour des Comptes ou M. Boyon celles de président du Conseil Supérieur de l’audiovisuel ». Car il n'est pas de raisons pour lesquelles ce qui vaut pour les édiles dela République ne saurait valoir pour ceux qui sont chargés de rendre compte de leurs actions, sauf à ériger l'hypocrisie en principe comme le fit Tartuffe dans la maison d'Orgon.
Ainsi, j'espère que si d'aventure, Jack Lang redevient ministre de l'Education nationale, on continuera d'enseigner Tartuffe à l'école. Plus de 300 après, c'est définitivement très utile pour apprécier la politique.
Question bonus : est-ce une coincidence que les deux tartufferies soient liées à Bayrou ?