Le centre sera absent du second tour de l'élection présidentielle. Mais, paradoxalement, l'élimination de François Bayrou offre, à compter d'aujourd'hui, un bouolevard à la sociale-démocratie. Un boulevard qui peut mener la gauche à la victoire, le Parti socialiste à la rénovation, et une équipe moderne à l'Elysée. Un boulevard qu'il n'appartient qu'à elle d'empreinter résolument.
Quelle est la situation, ce matin ? Le candidat de l'UMP a réussi son pari : à plus de 31 % des voix, il explose la base électorale de Jacques Chirac, et réincorpore dans le jeu républicain une partie des électeurs Le Pen. Il capte une grande partie de l'électorat ouvrier. Il est fort là où le sentiment de relégation est important (anciennes zones industrielles, monde rural en voie de désertification, etc.), là où les gens sont plutôt vieux (le sud de la France), là où ils sont plutôt (très) riches (ouest parisien, banlieue pavillonnaire). Mais pour réussi ce pari, Nicolas Sarkozy a brûlé ses vaisseaux. En droitisant son discours, il s'est aliéné une partie de l'électorat de la sphère d'influence de la droite libérale et du centre démocrate-chrétien. Ces électeurs peuvent lui manquer : rien ne dit qu'ils pardonneront à NS ses algarades sur le terrain sécuritaire, sa brutalité, son mépris des corps intermédiaires, sa suspicion envers l'appareil judiciaire, son peu de cas des droits de la défense, bref : tout ce qu'un vrai libéral ne saurait tolérer.
L'électorat de François Bayrou apparaît composé de plusieurs strates. D'une part, le fond démocrate-chrétien, les héritiers de Lecanuet, de Barre, dans une moindre mesure de VGE et Balladur. Ceux-ci ont un tropisme davantage tourné vers la droite. Si la logique du vote est majoritaire, ils iront vers l'UMP. Mais pas tous. Outre ceux qui ont été séduits par la dimension anti-système du candidat (pas tant que ça selon moi, voir notamment l'interview de Pascal Perrineau sur le Monde selon lequel la géographie du vote Bayrou met en lumière de grandes permanence avec le vote démocrate-chrétien des années 1950 aux 70s), beaucoup viennent de la gauche. Déçus par le retard idéologique du parti socialiste, qui peine selon eux à prendre acte de la chute du mur de Berlin, de la défaite du marxisme, de la mondialisation, etc., leur vote a pour ambition de peser sur le logiciel socialiste. Ces électeurs, lassés que l'extrême gauche occupe sur le terrain doctrinal un poids inversement proportionnel à sa crédibilité en tant que force de gouvernement ou même son poids électoral, fatigués d'être taxés de sociaux-traitres s'ils émettent une proposition économiquement raisonnable, ont trouvé dans Bayrou un moyen de pression. Ils ont gagné : aujourd'hui, ils constituent la vraie réserve de voix qu'il convient pour Ségolène Royal de conquérir.
Car si Ségolène Royal a fait un bon score, celui-ci n'est pas révolutionnaire : elle est forte là où la gauche est historiquement implantée, comme dans le Limousin et le Midi-Pyrénées, terres historiques d'implantation radicale puis socialiste. Alors que Nicolas Sarkozy a, lui, déjà dépassé les bases strictes des chasses gardées de la droite. On compare le score de SR à celui de François Mitterrand. Ce serait oublier que celui-ci disposait d'une réserve de 15 % à sa gauche. Autres temps, autres mœurs : c'est maintenant au centre qu'ils se trouvent.
Ainsi, Ségolène Royal doit faire un geste fort vers le centre, ne serait-ce que pour des raisons tactiques : le TSS (tout sauf Sarkozy) pourra fédérer l'extrême gauche et les plus à gauche de l'électorat de François Bayrou, mais cela ne sera pas suffisant pour gagner. Et même si ça l'était, pour quelle victoire ? Une alliance conjoncturelle de rejet ne donne pas de mandat pour gouverner, Jacques Chirac est bien placé pour le savoir, lui qui transforma ses 82 % en quinquennat de la déception. Non, définitivement, une victoire d'adhésion est plus souhaitable que jamais.
Pour des raisons idéologiques, enfin, une recomposition à gauche est souhaitable. Le PS, faute d'avoir opéré dans son discours les corrections nécessaires à une mise en adéquation de celui-ci avec sa pratique gouvernementale, vit dans une schizophrénie permanente. L'ambition et le remords, pour reprendre l'ouvrage magistral d'Alain Bergounioux et Gérard Grunberg. Difficile, dans ces conditions, de gouverner sereinement : la peur de trahir prédomine. Corollaire : le socialisme français a perdu beaucoup de son influence en Europe, s'il en a jamais eu. Et quand il s'agit de réécrire la directive Bolkestein (qui, pour le coup, est un texte majeur du point de vue économique), c'est le SPD qui s'y colle, le PS français, inaudible, assistant en spectateur. Influence 0, donc. Cette situation n'est pas insurmontable.
Pour toutes ces raisons, je pense que la sociale-démocratie bénéficie aujourd'hui d'un boulevard sans précédent en France. Dominique Strauss-Kahn aurait probablement été à même de transformer l'essai. Ségolène Royal le peut également, sans forcément y même la même intensité idéologique. Elle devra pour cela vaincre les logiques d'appareil qui continuent de prédominer au Parti socialiste, ainsi que la culture bloc contre bloc héritée des années 70/80 et de l’ancienne influence du communisme. Les jours qui viennent diront si elle peut transformer l'essai. En réponse à un billet précédent, le socialisme de gouvernement sera social-démocrate ou ne sera pas.