dimanche 25 mars 2007

Série Bayrou (1) : gouverner au centre

Maintenant que les oracles de la campagne, j'ai nommé les sondages, semblent montrer un tassement du phénomène Bayrou, toujours en bonne position mais ne parvenant pas à dépasser ses rivaux PS et UMP, maintenant donc que nous avons un peu de recul, on peut essayer de réfléchir sereinement au phénomène. J'ai déjà commis un billet sur le fait que notre ami béarnais forçait la gauche à se repenser par rapport à un clivage droite-gauche qu'elle tient pour constitutif, nécessaire, pérenne, et transcendant. Je vais essayer de pousser l'analyse, en analysant d'abord sur quelles bases peut se fonder la volonté de FB de gouverner au centre, puis le caractère anti-système de la candidature Bayron, et enfin son lien avec le libéralisme. Oui, je sais, je n'ai pour l'instant que marginalement brillé par ma propension à tenir les promesses annoncées sur ce blog : il y a maintenant un certain nombre de billets notés (1) qui attendent leur (2). Eh bien, espérons quand même !

Gouverner au centre, donc. Vieux rêve que celui de réunir la nation quasi-unanime sur un projet accepté de tous et refusé des seuls extrêmes. « Pourquoi voulez-vous qu'il y ait une opposition ? », disait De Gaulle. Souvenirs brumeux de l'Union sacrée ou du bloc national. Rêve que le bien commun se construise dans la concorde plutôt qu'à travers une succession partisane, que par cette sorte de louvoiement qui permettrait d'y tendre par coups de barre successifs de part et d'autre. Soit L, le bien commun : après tout, pourquoi ne pas dire f(x) = L plutôt que de tenter absolument f(x) = cos(x)/x + L ?

Mais, bien évidemment, les gens de bon conseil d'expliquer au Béarnais qu'on y avait déjà pensé, merci, mais que c'est impossible. Et pourquoi ? Parce que c'est la vie : les unions sacrées ne durent qu'un temps, elles sont vouées à se disloquer, et font à la longue le jeu des extrêmes. C'est d'ailleurs le sens de la critique formulée par Nicolas Sarkozy (et en cela, je lui accorde même de la constance : il y a longtemps que NS prétend que la droite doit être vraiment à droite et la gauche vraiment à gauche pour éviter qu'un jour, la présidentielle se joue entre Le Pen et Bové). Autrement dit, une polarisation d'une assemblée au centre serait par nature instable. C'est ce que je vous propose de vérifier maintenant.

Supposons un état initial parfaitement stable, le système de Westminster : une droite et une gauche bien identifiées, un système d'élection uninominal par circonscription plutôt qu'un scrutin de liste national, et vous avez un camembert partagé en deux. Les extrêmes en sont exclus, un centre marginal peut demeurer, il sera la cinquième roue du carrosse, d'un côté ou de l'autre, peu importe. Etat stable : un parti domine, quand il est fatigué, l'autre prend sa place, et ainsi de suite : les Anglais font cela depuis le XVIIème siècle, en remplaçant juste les whig par les travaillistes, et cela leur convient. Les Américains aussi. Bon, mais, nous dit Bayrou dans son discours d'Evreux, cela ne marche pas en France car chacun défait ce que fait l'autre : « la confrontation de l'UMP et du Parti socialiste a été une confrontation stérile. Elle dure depuis vingt-cinq ans. Depuis vingt-cinq ans, ceux qui sont dans l'opposition flingue toute idée de ceux qui sont au pouvoir. Depuis 25 ans, à chaque élection, il y a une alternance, c'est-à-dire que l'on sort ceux qui sont en place pour les remplacer par ceux qui étaient là le coup d'avant et ceux qui arrivent n'ont pas de plus urgent besoin ou choix que de détruire ce qu'ont fait ceux qui les avaient précédés. Ce n'est pas comme cela, dans cette attitude d'affrontement perpétuel, que l'on peut construire du positif pour un pays. » On a donc un état stable, mais créant un jeu à somme nulle. Statu quo ? Mais c'est exactement ce que les contempteurs du régime d'assemblée reproche à celui-ci, notons. Bon, passons.

On se propose donc d'introduire, dans cet état stable, un centre non-marginal. Nous voilà donc avec une gauche, un centre, une droite. Notons que le centre peut être lui-même divisé, de fait, il l'est souvent. Je pense qu'on peut alors distinguer deux situations bien différentes.

On pourrait qualifier la première de bipolarisation avec centre-pivot : il continue d'y avoir une alternance droite-gauche, mais celle-ci est décidée par le centre, qui peut « choisir » la formule gagnante. Le centre, même minoritaire, détient donc un poids primordial. A la réflexion, c'est ce que pourrait obtenir Bayrou : supposons qu'il soit élu président, et, qu'aux législatives, l'UDF ne soit pas suffisamment forte pour s'imposer comme le premier parti, mais obtienne néanmoins quelque chose comme 20 % des sièges, avec, pour simplifier, l'UMP et le PS avec 40 % des sièges chacun. Nonobstant la légitimité que confère le suffrage universel au Président, nos institutions actuelles prévoient quand même que c'est le Parlement qui vote la confiance : ainsi, c'est bien au Parlement qu'il reviendrait de choisir le PM, et donc à l'UDF de faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre. Cas hypothétique on s'en doute, car négligeant le particularisme français, mais cas important, car c'est dans cette configuration qu'agit le plus souvent le centre dans un régime parlementaire.

Mais effectivement, si cette solution est celle qui semble dévolue à un centre important mais non majoritaire, comme le rapport de force semblerait le dessiner actuellement et est donc l'objectif que pourrait effectivement atteindre Baryou, ce n'est pas ce qu'il souhaite : « élu président de la République, je formerai un gouvernement qui sera un gouvernement pluraliste, ouvert sur les grandes sensibilités du pays avec des personnalités nouvelles, parce qu'il faut du renouvellement, diverses par leur expérience, ayant fait leurs preuves dans la vie, d'accord sur le plan de redressement que j'aurais proposé aux Français et ce gouvernement dira à toutes les femmes et tous les hommes politiques de France : "Si vous avez entendu le message que les Français viennent de vous envoyer, si vous souhaitez entrer dans ce rassemblement pour soutenir le redressement, vous y avez toute votre place." ». Il ne s'agit plus ici d'un maintien de la polarité droite-gauche, quand bien même dominé par un « swing center », mais bien d'une polarisation unique et centrale de système partisan autour du centre, auquel se verrait agrégées la gauche de la droite et la droite de la gauche, rejetant les extrêmes. Autour d'un grand parti du centre, donc, des personnalités de valeur glanées à droite et à gauche. Autour de Bayrou, Strauss-Kahn et Borloo.

Est-ce jouable ? Deux références me semblent pertinentes. La première, c'est l'Union sacrée, le concours de toutes les bonnées volontés, et d'ailleurs, c'est explicite dans le discours de FB (par exemple : « Si je suis élu, ce gouvernement sera un gouvernement qui rassemblera des compétences venant des camps différents, s'entendant sur l'essentiel et décidées à reconstruire le pays dans une démarche de rassemblement »). La thématique de la reconstruction du pays, donc, comme justification à l'état d'union sacrée. Mais pas que : en effet, l'union sacrée ne peut être que conjoncturelle, or François Bayrou nous invite à un changement sur le long terme, donc à une polarisation structurelle du paysage politique autour du centre qu'il incarne. Et là, la référence au radicalisme est peut-être utile.

Vous me direz, pourquoi aller exhumer le radicalisme de tombeau auquel la fin des IIIème et IVème Républiques l'avait condamné ? Mais bien parce que la IIIème république raconte l'histoire d'une polarisation, centrale,mais surtout durable, du spectre politique. Le centre, occupé par les radicaux (au centre gauche, c'est vrai), n'agissait pas comme swing voter, mais comme leader des différentes coalitions, la plupart du temps, avec à sa gauche une SFIO tiraillée entre son désir d'avoir des élus, sa position doctrinale de refus de participation au pouvoir, et son ambivalence quant à l'acceptation de la République, et de l'autre une droite dont la frange progressiste avait rallié le régime et était prête à gouverner avec les radicaux, mais dont l'autre bord n'avait jamais accepté 1875. Ce sont bien les radicaux qui, à partir du gouvernement de Défense nationale de Waldeck-Rousseau, ont donné vie à la plupart des coalitions, qu'ils y soient archi-majoritaires comme lors des ministères Combes, Clémenceau, Caillaux, ou minoritaires du temps du Bloc national. Je pense d'ailleurs que François Bayrou est trop bon connaisseur de l'histoire de France pour ne pas ignorer le rôle déterminant du parti radical à cette époque.

Cela peut-il se reproduire ? Il faudrait, me semble-t-il, que soient réunis deux ingrédients : d'une part une multiplicité des clivages partisans, d'autre part une idée-force recueillant l'assentiment des membres de l'assemblée au-delà du seul centre... On retrouve à peu près cette situation au Parlement européen aujourd'hui : deux grands partis, mais peu homogènes du fait des différences nationales, avec une majorité de l'Assemblée qui se retrouve autour d'un thème fédérateur : l'Europe et le libéralisme sont pour le Parlement européen ce que la nécessité de fonder la République, le patriotisme et la défense de la laïcité furent pour la IIIème République.
Ces deux conditions ne sauraient, selon moi, s'appliquer à la France aujourd'hui : les forces politiques, pendant la IIIème République, étaient suffisamment divisées pour que soit possible ce que le maintien de la cohésion du PS et de l'UMP ne peut aujourd'hui autoriser, et le diagnostic sur les réformes à accomplir, s'il est partagé dans les états-majors des partis comme je n'en doute pas (recherche, mise à niveau des universités, libéralisation du marché du travail, Europe), n'est pas proclamé par leurs dirigeants. A noter que, si les clivages qui existent toujours à l'intérieur de l'UMP (entre gaullistes et libéraux) et à l'intérieur du PS (entre sociaux-démocrates et tenants de la 1ère gauche) se révèlaient, il ne serait pas exclu que la première condition soit réunie, et qu'une coalition large entre les sociaux-démocrates du PS, l'UDF, et les libéraux de l'UMP puisse voire le jour. Mais c'est de la politique fiction.

Qu'en penser, finalement ? Que le projet du candidat soutenu par l'UDF a des bases, sûrement (on peut polariser une assemblée au centre, et même de manière stable). Que celles-ci sont ténues en la situation actuelle, aussi (on aura des difficultés à polariser au centre notre Assemblée nationale). Cela n'interdit pas d'essayer. Quant à l'UDF, le parti le plus europhile et donc a priori le moins attaché à l'esprit cocardier républicain, le plus démocrate-chrétien, comme continuateur du radicalisme laïcard de la IIIème République, l'idée peut faire sourire... Mais en 1927, la Parti radical, réuni en congrès, refusait de trancher entre la motion présentée par Daladier (réaliser pour de bon une alliance durable de gauche avec la SFIO) et celle de Herriot et Sarrault (affirmer la vocation du parti radical à être une force centriste de gouvernement se donnant comme objectif de réaliser le programme républicain), se prononçant pour une alliance de type cartelliste avec la SFIO tout en affirmant sa volonté de gouverner au centre, et donc avec le centre-droit de Poincaré. Toute ressemblance avec le choix difficile pour l'UDF entre la ligne Robien (alliance électorale et programmatique avec la droite) et la ligne Bayrou ne serait, bien sûr, qu'une pure imagiation de l'auteur.

dimanche 11 mars 2007

Le clivage droite-gauche face à François Bayrou

Ainsi, François Bayrou serait à égalité avec Ségolène Royal. Du moins, ce sont les sondages qui le mesurent, ce que les soutiens de la présidente de la région Poitou-Charrentes ont beau jeu de dénoncer après s'en être abondamment servi lors des primaires internes au PS. Ainsi, la « gauche » serait au niveau le plus bas depuis 1969, où elle n'atteint pas le second tour.

J'ai déjà eu l'occasion de discuter sur la toile, par exemple en réponse à un article de Jules sur Diner's room, de la signification du vote Bayrou. La tournure de la discussion était plutôt de reconnaître les effets positifs que pourrait entraîner l'accession du candidat centriste à l'Elysée, en ce sens qu'il introduirait des modifications institutionnelles capable de diversifier la présence à l'assemblée nationale, et serait à même de perturber la routine de l'alternance droite-gauche.

Perturber la structuration du débat politique autour du clivage droite gauche, c'est d'ailleurs ce que beaucoup, à gauche, tiennent pour hérésie. On a déjà dénoncé sur ce blog une façon particulièrement grossière de s'y prendre, celle de Jack Lang. Mais parlons du fond : brouiller le clivage droite-gauche, est-ce vraiment si mal ?

Pour des gens comme mon ami Sylvain, ou comme Laurent Fabius (qui n'est pas mon ami) : oui, sans hésiter. Sous-jacent : le clivage droite-gauche devrait irriguer notre vie politique car il correspond à une catégorie pérenne, immuable, du politique : si l'opposition n'est pas assez claire, assez frontale, la différence gauche-droite se brouille. Autrement dit, depuis toujours et jusqu'à la fin des temps, il n'y a que deux grandes forces politiques, et s'il existe des courants ou des nuances à l'intérieur de ceux-ci, les désaccords qui en résultent sont tenus pour secondaires comparé à l'antagonisme droite-gauche. Comme le remarque René Raymond dans son magistral Les droites en France, ceux qui imaginent des complications supplémentaires sont immédiatement "soupçonnés d'obéir à des arrières pensées politiques, de chercher à brouiller les cartes en dissimulant l'enjeu et la signification de la seule lutte qui compte : inutiles pour la compréhension de la politique, ces complications sont de surcroît nuisibles". On rejoint ainsi le thème, éculé mais toujours vivace, de la compromission : celui qui sort de la caverne du clivage droite-gauche est un traître, en tout cas pas un homme de gauche. Ainsi, une dénonciation de type Clémentine Autain ne fait que répéter ce que disait déjà Alain dans les années 20 : « lorsqu'on me demande si la coupure entre partis de droite et de gauche, entre hommes de droite et hommes de gauche, a encore un sens, la première idée qui me vient est que l'homme qui me pose cette question n'est certainement pas un homme de gauche ». On lui signalera que, depuis, il y a eu Raymond Aron, qui ouvre par cette citation son Opium des Intellectuels, mais je ne mettrais pas ma main au feu que Clémentine Autain en ait fait son livre de chevet...

Or s'il est chose certaine, c'est que le clivage droite-gauche est au contraire un produit historique, mouvant. Telles notions furent de gauche, et sont maintenant de droite ; et vice-versa. Certaines ont même cheminées, tout au long de notre histoire, entre les différents courants des droites et des gauches, sans vraiment se fixer. L'idée de nation, autre fois de gauche, puis de droite sous couvert d'autorité et d'ordre moral tandis que se développait une construction internationaliste du socialisme, puis de retour à gauche pendant l'entre deux guerre alors qu'une partie de la droite semblait subissait la trouble attraction des courants fascistes, de retour à droite avec De Gaulle, incarnée parallèlement avec un cocardisme très appuyé par le Parti communiste, etc. On pourrait faire pareil avec le libéralisme, la construction européenne, etc. Tout n'est donc pas si simple : s'il y a une droite et une gauche, elle ne sont pas immuables, et elle ne constituent pas forcément le clivage de référence.

Il y a donc une forme de facilité à se référer sans cesse à un clivage largement mythifié afin de résumer, de simplifier tout débat politique. Il y a même une forme de supercherie, qui confine à un comportement de type rentier : en s'exonérant du débat, une partie de la gauche escompte une rente électorale, celle des personnes se définissant comme de gauche. Car il est sûr qu'un homme de gauche aura du mal à voter pour une parti « de droite », ce qui équivaudrait à trahir son identité de gauche. Celle-ci se serait développée à travers une convergence, idéologiquement assez absurde pour qui a lu Marx, entre le clivage droite-gauche issu de la Révolution et celui sur lequel se base le marxisme.

René Raymond encore : « le ralliement du marxisme à la démocratie parlementaire a progressivement rendu possible une superposition puis une identification de l'opposition des forces sociales à celle des forces politiques: la lutte des classes s'est comme coulée dans le moule classique de l'opposition droite-gauche ». Cette magnifique manoeuvre politique, à mettre à l'actif de François Mitterand, a bien permi la création d'une rente électorale pour le Parti socialiste. Elle est utile pour l'accession au pouvoir. tant que le clivage droite-gauche est intériorisé par bon nombre d'électeurs. Or nous assiterions aujourd'hui à la fin de cette rente : en 2002, les classes populaires désertent le PS, qui est éliminé. En 2007, les très décriés bobos seraient sur le point de rejoindre Bayrou. Dans ce cas, à part chercher à préserver la rente en appelant à une opposition frontale, comme le fait Laurent Fabius, que le PS peut-il faire ?

On pourrait imaginer que l'émergence de Bayrou amène la gauche à dépasser ce clivage simplificateur. Et notamment, puisque Bayrou représente fondamentalement une tendance démocrate-chrétienne, libérale, européenne, cela pourrait – on peut rêver – forcer le PS à se positionner par rapport à la question du libéralisme. Car c'est bien le rapport entre socialisme et libéralisme, entre socialisme et ambition révolutionnaire, entre socialisme et économie de marché, qui est le grand tabou du PS, celui qui n'a été réglé ni à Dijon en 2003, ni au Mans en 2005. C'est celui qui a irrigué la division du PS au moment du référendum sur le TCE. C'est celui autour duquel sevrait s'articuler l'agiornamento qu'une partie du PS appelle de ses voeux. Une défaite de la gauche face à un centrisme décomplexé obligerait le PS à se poser ces questions, et il apparaîtrait que la candidature de DSK aurait eu plus de chance de fédérer, ce qui pourrait ouvrir la voie à une direction de type social-démocrate.

Ce scénario nécessite néanmoins un ingrédient qui me semble absent : il faudrait que Bayrou incarne véritablement ce centrisme libéral et européen, afin que les raisons d'une éventuelle défaite du PS soient immédiatement et indiscutablement identifiables. Or l'attrait pour le candidat centriste ne vient-il pas plutôt de son côté anti-système, de sa dénonciation (au demeurant fondée) des liens capitalistiques entre médais et groupes vivant de commandes publiques, d'un idylle largemenet mythifiée (le PS n'a pas le monopole des mythes !) avec les enseignants ? D'où l'analyse, souvent entendue dernièrement (), que Bayrou serait le candidat du statu quo, de la préservation des corporatismes, etc.

En d'autres termes, si Bayrou devait défintivement s'éloigner d'un libéralisme de type démocrate-chrétien pour ne plus incarner qu'un rejet de type poujadiste du système, elle y perdrait une grande part de sa force théorique. En ce sens, la proposition faite par FB pour les législatives ne prête guère à l'optimisme : une majorité présidentielle qui ne serait que l'agrégation hétéroclite de candidats Bayrou-compatibles, sans accord assumé autour d'un véritable corpus idéologique, ne constituerait qu'une alliance de circonstance, un nouveau Comité de Salut public. Une modification durable nécessite au contraire l'émergence de forces politiques assumées, stables, et idéologiquement cohérentes, débattant de leurs divergences devant la représentation nationale plutôt que dans les alcoves de leurs partis. Il est possible qu'une victoire de Bayrou amène ce type de recomposition.
Ce n'est pas probable...

samedi 3 mars 2007

Le discours de Nicolas Sarkozy sur l'Europe (1)

Que peut-on attendre d'un discours sur l'Europe prononcé deux mois avant l'élection présidentielle dans un pays encore profondément marqué par le non du 29 mai 2005 ? De mon côté, pas grand chose : le risque de déplaire est plus fort que la possibilité de convaincre sur un credo européen, l'adhésion à la construction communautaire ne recoupe pas lignes de clivage caractéristiques, à la fois Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal ont un électorat divisé sur la question. Enfin, sauf à se ridiculiser complètement, les « grands » candidats ne peuvent promettre n'importe quoi, puisque leur marge de manoeuvre sur les questions européennes est limitée par le fait (regrettable) qu'en Europe, il n'y a pas que la France. Mais on attend néanmoins les candidats sur cette question européenne : puisqu'il est admis que l'UE est en crise, comment la relancer ? D'un futur Président de la République, on espère une réponse, une vision... qui puisse, avant de réconcilier les Français avec l'Europe, réconcilier les Français entre eux sur l'Europe.

On peut donc penser que le discours de Nicolas Sarkozy avait comme principal objectif de renforcer sa stature de présidentiable, en le montrant capable d'embrasser la problématique européenne et de donner la preuve de sa maîtrise des questions communautaires, mais également (surtout) de ne pas lui faire perdre des points.

Le discours de Strasbourg n'y déroge pas : Nicolas Sarkozy a beaucoup parlé d'Europe, d'européens célèbres, de construction européenne. Il a beaucoup dit « je veux » (35 fois !). Mais au final, peu de chose que nous ne sachions déjà, et même peu de pistes concrètes tout court pour relancer la machine communautaire : Nicolas Sarkozy a beacoup parlé valeurs, et, comme souvent, cela veut dire peu parlé actions. Je vois quand même 3 grands thèmes, qui valent peut-être qu'on s'y attarde un peu.

1/ Inscire la construction européenne dans un discours historique
Que retenir de cette longue partie consacrée à l'idée européenne ? Outre les références obligées à Jean Monnet et Robet Schuman, celle à De Gaulle me semble plus intéressante. Non que sa présence soit en soi une incongruité pour un candidat de droite : le contraire aurait surpris. Mais la référence à l'Europe des Nations m'a paru assez appuyée : « Le Général De Gaulle voulait que l’Europe fût européenne, c’est-à-dire indépendante. Il voulait qu’elle respectât les nations. Il voulait qu’elle existât par elle-même sur la scène du monde. Et que voulons-nous d’autre au fond ? Chaque fois que nous nous sommes éloignés de cet idéal nous avons affaibli l'Europe. »
Ensuite, c'est que l'Europe se définit comme un produit historique, dont il nous appartient d'assumer la charge et de contnier l'histoire : « Nous devons prendre l’histoire de la construction européenne comme l’histoire de France là où elles en sont et les continuer. Ce qui ne veut pas dire que nous sommes obligés d’imiter ceux qui nous ont précédés. Mais ce qui veut dire que, pour l’Europe comme pour la France, la table rase est impossible. Nul ne peut repartir de zéro. » Ce désir affiché d'être le continuateur d'une histoire assumé me semble une constante du candidat UMP, dont l'image est encore marquée par les accusations de communautarisme. Elle fait également écho à une crise de la représentation de l'imaginaire national par les Français eux-même, largement documentée. La surprise est donc plutôt de trouver cela appliqué à l'Europe.
Sinon, les références me sont apparues justes, mais convenues. Le discours est précis, mais classique. Ici, le but n'est pas de convaincre, mais d'illustrer un Président acteur de son Histoire.

2/ Un diagnostic sur la crise de l'Europe
La partie la plus intéressante du discours y a été consacrée. Avec tout d'abord, une affirmation, destinée à rassembler ouisites et nonistes : « Je veux le dire à tous nos partenaires : ce n’est pas le « non » néerlandais et français à la Constitution européenne qui est responsable de la crise de l’Europe. C’est la crise de l’Europe qui est responsable du rejet de la Constitution. » Constat souvent exprimé, difficile à vérifier : c'est sans doute les deux, le non français ayant à la fois illustré et donné une forte ampleur à un malaise qui était sans doute prééexistant.

Au premier titre des éléments responsables, l'élargissement est fortement incriminé : « En élargissant l’Europe sans réformer auparavant ses institutions on l’a diluée et dépolitisée. » Le thème de la dilution est une obession français, à laquelle Nicolas Sarkozy semble souscrire. Les autres Etats-membres également, à des degrés divers, témoin la mise en avant de la notion de capacité d'absorption de l'Union pour décider des prochains élargissements. Le fait que l'Europe ne se soit pas donné de frontières est fustigé, en même temps que la perte de substance politique. Ce discours est logique : en refusant de fixer une frontière, on refuse de définir l'autre, et donc également soi-même.

Ce qui fait écho à un grand point du discours : la manque de volonté politique de l'Europe. « Depuis 25 ans on dit qu’il n’y a qu’une seule politique possible, qu’une seule pensée possible, qu’une seule Europe possible. » Commentons : d'un point de vue théorique, on peut dire que ce manque de volonté politique fait directement écho à l'accusation selon laquelle l'Europe n'est pas gouvernée (oppostion gouvernement / gouvernance) ; à la dénonciation de la profonde mutation d'un universalisme qui se muerait chez les Européens en une véritable incapacité à concevoir l'existence de préférences collectives significatives. Il vient, selon moi, s'inscrire dans une vague récente d'analyses, dont est révélateur l'excellent ouvrage « la Raison des Nations », de Pierre Manent, selon lesquelles le projet européen aurait profondément changé de nature depuis le traité de Maastricht et orchestrerait la sortie du national en offrant comme horizons aux Européens une forme de démocratie post-nationale, soit un kratos sans demos. Or le manque de volonté décrit pas Nicolas Sarkozy ne participe-t-il pas de ce phénomène d'empire démocratique auto-régulé mais incapable d'exprimer un quelconque préférence collective ?

Enfin, NS caractérise une forme de naïveté libérale européenne, celle d'une Europe qui, seule à appliquer avec ferveur les precepts d'un libéralisme théorique, ne saurait plus se défendre (ce qui renvoit selon moi au point précédent : l'Europe rendrait possible le règne de la norme juridique, de l'état de droit libéral, mais d'une norme désincarnée ne répondant plus à la volonté d'une communauté politique). Ce libéralisme doctrinal empêcherait l'Europe de se doter d'une réelle politique industrielle ou de protéger ses secteurs stratégiques : « Je crois aux vertus de la concurrence mais je ne crois pas que la concurrence soit une religion, ni qu’elle soit efficace en toutes circonstances. ». La référence à l'interventionisme des Etats-Unis est très nette : « Nous devons être capables de leur proposer une Europe qui se donne au moins les moyens de faire ce que font les Etats-Unis qui savent parfaitement protéger et promouvoir leurs intérêts. Quand nous avons sauvé Alstom nous aurions dû trouver la Commission européenne avec nous. Nous l’avons eue contre nous. C’est cette Europe qui à la tentation de passer l’agriculture et l’industrie par pertes et profits qui ne peut pas durer. ». La crise européenne procède donc en grande partie, pour NS d'un libéralisme trop simpliste, avec pour corollaire une absence de volonté politique. Avec comme sous-jacent, une condamnation assez claire du libéralisme, que n'aurait pas reniée la gauche. Et d'ailleurs, d'un point de vue purement théorique, c'est sans doute vrai, et de vrais libéraux souscriraient sans doute au propos de NS tout en y voyant de grands avantages par rapport à l'interventionisme étatique, à la fois inefficace économiquement et, d'un point de vue de la théorie politique, détrimental au principe de liberté.

Comme c'est déjà suffisamment long comme ça, on verra le programme une prochaine fois.