mercredi 18 avril 2007

La grande incertitude

Dans quatre jours, nous devrons voter. L’élection est indécise. La campagne n’a pas – Dieu merci ! – tourné exclusivement autour du thème de l’insécurité ; au contraire, aucun thème ne s’est définitivement dégagé, tous ont été abordés, peu l’ont été en profondeur. Il semblerait que 4 candidats aient des chances d’accéder au second tour, dont 3 peuvent espérer la victoire finale. Ces différents choix pourraient constituer autant de lignes politiques. Je prétends au contraire que, quel que soit le président élu, il est très difficile de savoir selon quelle ligne politique le pays serait gouverné.

Nicolas Sarkozy : rupture libérale ou conservatisme ? La prise de pouvoir de NS au sein de l’UMP n’a pas été accompagné d’une refondation idéologique : le parti de la droite est d’abord une machine de guerre au service du candidat. Sans refondation idéologique, la question du libéralisme demeure taboue : le mot rupture a d’ailleurs progressivement disparu au profit d'un vocabulaire plus classique de droite. Et pourtant, des questions à trancher, la droite en avait. La principale est pour moi son rapport au libéralisme, rendu difficile par l’héritage gaullien (la droite ayant dû attendre 1986 pour se débarrasser de la base idéologique que représente le programme du Conseil National de la Résistance ayant présidé aux nationalisations de 1946) : l’hostilité au libéralisme est bien d’ailleurs l’un des rares points sur lequel on puisse faire crédit au président Chirac de constance !
Le rapport de la droite à l’Europe découle, me semble-t-il, grandement du point précédent (en y rajoutant l’idée de nation, mais celle-ci est également un avatar de la question libérale, la nation comme incarnation du groupe étant souvent opposée au libéralisme, décrié comme triomphe de l’individualisme). C’est ainsi que NS passe de la rupture (libérale, au moins en partie) aux discours de Henri Gaino… et quémande le soutien de Jacques Chirac (que celui-ci lui a « tout naturellement » apporté). Rendons ici hommage à René Rémond, décédé la semaine dernière : Nicolas Sarkozy est un parfait exemple de la cohabitation des trois droites : orléaniste car libéral, légitimiste car conservateur, bonapartiste car se prévalant d’une relation directe avec le peuple et récusant les pouvoirs intermédiaires, il est la synthèse des droites. Or celles-ci ne sont pas 100 % compatibles. La tendance qui l’emportera fera la ligne de la présidence Sarkozy. Les rénovateurs, à droite, voudront voir dans le Sarkozy de 2004 le « vrai » Sarkozy. Les gaullistes se réjouiront de ses marques d’adhésion au « modèle français » de ces derniers mois. Mais pour l’instant, on ne sait pas.

Ségolène Royal : sociale-démocratie ou première gauche ? Libéralisme régulé ou crypto-marxisme ? Les deux lignes étaient représentées lors de la primaire interne au PS, par DSK et Fabius. Oui, mais Ségo a gagné, et voilà le PS sans référence pour analyser sa candidate : précisément, Ségolène Royal n’appartient à aucune de ces deux lignes. Et comme pour Sarkozy, on en est réduit à aller chercher dans son passé pour savoir « ce qu’elle pense vraiment ». La référence à Mitterand est omniprésente ? Oui, mais elle cite également Jacques Delors. Elle veut augmenter le SMIC à 1500 € ? Oui, mais elle tient au PS le discours des entreprises qui innovent. Elle souhaite que nous arborions des drapeaux à la fenêtre le 14 juillet et a pris Chevènement dans son équipe ? Oui, mais elle est farouchement décentralisatrice et a voté oui au TCE. Difficile, donc, de se faire une idée en s’appuyant sur le clivage traditionnel du PS. Donc, bien évidemment, la question du rapport au libéralisme, qui est également celle qui empoisonne l’existence du PS, celle qui devrait être traitée si le PS voulait faire son Bad-Godesberg, celle enfin dont la résolution conditionne l’aggiornamento vers lequel les deux extrêmes du PS le tiraillent (la révolution anti-libérale contre la révolution sociale-démocrate), ne sera pas tranchée. Ségolène Royal c’est le refus du choix entre les deux gauches, entre Jaurès et Guesde, plutôt qu’une clarification. Une incarnation de la France plutôt qu’une ligne politique (la propagande ségoléniste joue cette carte à fond : Ségolène, c’est Marianne, c’est la république, c’est la France) – voir mon billet sur son intervention sur TF1 -, une ambiguïté permanente que n'a pas réussie à lever son discours de Villepinte (que j'avais commencé à analyser ici). S’il est certain que le débat politique ne doit pas se restreindre au clivage précédemment évoqué, il est certain que celui-ci existe : la présidence Ségolène

François Bayrou : démocratie chrétienne ou centre élargi ? La grande incertitude de la présidence Bayrou diffère des précédente en ce sens qu'elle ne concerne pas le choix entre deux lignes présentes dans son parti mais entre la ligne politique historique de la démocratie chrétienne et les possibilités de rassemblement que lui ouvrirait une victoire le 6 mai en-dehors de son parti. Cette différence tient à la nature même de l'UDF post-UMP : c'est un petit parti, mais idéologiquement plus homogène. Cela constitue sa force (il est plus cohérent que le PS et l'UMP) mais aussi sa faiblesse (réduit à l'expression de sa seule tendance, la démocratie chrétienne est un courant minoritaire).
Si François Bayrou venait à gagner, deux solutions seraient alors possibles : un regroupement de personalités de centre-droit et de centre-gauche dans une majorité soutenant son programme (un centre élargi regroupant gauche libérale [sociale-démocratie] et droite libérale [du type démocratie libérale]) dans lequel les véritables démocrates-chrétiens ne seraient pas forcément majoritaires, ou la restriction du courant politique dominant à la seule démocratie chrétienne. Il est probable que François Bayrou lui-même ne serait pas maître du destin de cette alternative, dont dépendrait pourtant la substance du quinquenat Bayrou.
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Peu de clareté, donc, au moment de faire le choix. D'une part du fait du caractère composite des deux partis dominants, qui agrègent différentes sensibilités, d'autre part du fait de la nature même de l'élection présidentielle, qui organise le déplacement progressif de la campagne depuis le contenu des programme vers la personnalités des candidats. C'est l'un des grands désavantages du système : au delà du mythe de la "rencontre en un homme et un peuple", ses dérives avaient déjà été pointées par Mendès-France en son temps. Quelqu'un comme Rocard avoue dans ses entretiens ne l'avoir pas compris à l'époque. Depuis, il a changé d'avis.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Un bon billet. Mais est-ce que ça n'a pas toujours été le cas ? ça fait longtemps que les partis sont composites, que les candidats tentent de faire des synthèse.

Anonyme a dit…

Assez d'accord sur l'analyse Bayrou et Ségo, mais je te trouve un peu gentil avec Sarko, tout de même, c'est la première fois qu'un candidat de la droite inspire autant de rejet par le peuple "de gauche" ... Très loin de Chirac. C'est aussi la première fois qu'à la présidentielle la droite filtre autant avec les thèmes (et plus que les thèmes) de l'extrême droite. Enfin, le "casier" de Sarko est lourd (voir l'excellente Shyntèse du Charlie Hebdo de cette semaine). Sur le thème de l'éthique, de l'anti-corruption, de la probité ... etc .. La ligne de fracture est Ségo/Bayrou Vs Sarko ...

Sinon, es-tu toi aussi dans l'incertitude ? Nous révéleras-tu ton choix avant le 22 ?