lundi 7 mai 2007

Tout refonder

Nicolas Sarkozy a gagné haut la main l’élection présidentielle, et sa victoire est loin d’être usurpée. Pour la première fois depuis 1974, le candidat de la majorité sortante est réélu. Pas d’alternance, donc, mais pourtant la promesse d’un renouveau, d’une rupture. C’est dire l’ampleur de l’échec du Parti socialiste dans sa volonté d’incarner le changement.

La victoire de Nicolas Sarkozy, c’est une victoire idéologique. Vainqueur dans les têtes avant de l’être dans les urnes, le candidat de l’UMP a effectué, durant 5 ans, un travail de rénovation de la droite qui l’a porté à sa victoire. On a beaucoup entendu, hier, l’expression de droite décomplexée. C’est par exemple, le sens de l’édito de Laurent Joffrin dans Libération, ou de l’interview de Jean-Marie Colombani dans le Monde. Et c’est vrai. L’histoire dira si ce moment droitier est destiné à se prolonger ou pas, mais il est certain que Nicolas Sarkozy a pu rassembler les droites. Toutes les droites. La droite bonapartiste, bien sûr : on l’a suffisamment dit sur ce blog, l’une des forces de Nicolas Sarkozy est bien son audience dans les milieux ouvriers, ceette relation transcendante qu’il entend (et parvient) à lier avec la « France d’en bas ». La droite orléaniste, également : la dimension libérale de NS, moins affirmée au fur et à mesure de l’avancement de la campagne, demeure une composante importante du programme UMP, et les puissances d’argent ne s’y sont pas trompé. Mais, nouveauté, la droite légitimiste aussi : s’il n’y a plus de contre-révolution au sens propre du terme contre les idéaux de 1789, le grand retour de l’ordre moral, le rabâchage du thème de l’autorité, la condamnation minutieuse de mai 68, font que le droite française est maintenant à même d’assumer crânement l’anathème idéologique envers la contre-culture et la nouvelle gauche. L’opprobre jetée sur la tradition légitimiste depuis Pétain est dissipé, et la droite revient, rassemblée, installer son héros à l’Elysée. Plus que De Gaulle, qui dut liquider la colonisation et devient la cible de la contre-révolution qui n’avait pas désarmé depuis Laval, mieux que Giscard, centriste de droite qui ne parvint jamais vraiment à amadouer les gaullistes, bien plus que Chirac, animal politique redoutable mais solitaire, braconnant sur les terres de la gauche pour parvenir à des victoires qu’il ne pût jamais digérer et convertir en conduite politique cohérente. La synthèse, comme toujours, est fragile. Mais, la victoire, elle, est éclatante.

Le Parti socialiste, lui, ne peut s’en prendre qu’à lui-même. Ce que Nicolas Sarkozy a fait durant 5 ans, le PS ne l’a même pas ébauché. Victoire à la Pyrrhus, le succès des régionales 2004 a été une malédiction pour un parti traumatisé, une bouée de sauvetage qui, au lieu d’être interprété comme un 21 avril à l’envers, donc un vote contre le gouvernement Raffarin, a servi d’alibi à la grande paresse intellectuelle du socialisme français. Celui-ci a du retard, beaucoup de retard. Il lui reste à prendre acte de beaucoup d’événements majeure : la chute du mur de Berlin, la disparition du communisme, la fin du marxisme, le triomphe idéologique du libéralisme, la disparition d’une classe moyenne homogène et d’ailleurs peut-être illusoire, la fin des grandes formes d’action collective, l’individualisation de la société, les mutations des formes d’organisation du travail et de la production, l’ouverture des frontières, le glissement à droite des ouvriers, l’émergence de nouvelles précarités, l’échec des méthodes traditionnelles du socialisme français à gérer la modernisation de l’économie française sans casse sociale, les nouvelles formes d’exclusion, etc. La doctrine actuelle du PS ne permet en rien de répondre à ces nouveaux défis. Il faut tout reconstruire, et il faut repartir de zéro.

Dans ce contexte, beaucoup dépendra de l’analyse qui sera portée sur la campagne de Ségolène Royal. Celle-ci n’est pas humiliée, mais nettement battue tout de même. Courageuse, pourtant, sa fin de campagne : une rénovation accélérée, en fait. Mais qui ne pouvait pas fonctionner, et pour cause : ce dont le PS a besoin, ce n’est pas de gagner en trompant, mais bien d’assumer sa pratique du pouvoir. Contre un candidat plus faible, Ségolène Royal aurait pu gagner. Mais sa victoire aurait ressemblé à celle de Chirac en 1995 : faute de s’appuyer sur un substrat idéologique suffisamment solide et sur un logiciel politique rénové, elle n’aurait probablement pas été à même de gouverner sereinement.

La défaite, pour le PS, est donc un mal pour un bien. Il y a du temps, maintenant, pour se poser les bonnes questions, en tête celle du libéralisme et de la pratique du pouvoir. La présence d’un Mouvement démocrate fort à sa droite devrait plutôt l’inciter à faire son Bad Godesberg qu’un nouvel Epinay, la tactique venant ici suppléer le nécessaire effort idéologique. Cette rénovation, pour le PS, ne pourra probablement pas se faire avec les mêmes têtes, au niveau du Parti surtout, le sort de la candidate étant plus flou. Gageons que les prochains mois, du côté de la rue de Solferino, seront agités. Mais pour pouvoir espérer gagner un jour, le PS doit aujourd’hui sortir de sa torpeur, cela veut dire, aussi, prendre des risques.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

En suivant tes explications de la victoire de Sarko, il aurait fallut une gauche décomplexée, qui assume des idées vraiment à gauche et qui rassemble toutes les gauches (de la gauche trotskiste à la gauche soc-dem ..). (Est-ce avec un discours soc-dem qu'on va chercher les ouvriers qui votent à droite ?).

Ensuite question de fond : Le positionnement du PS doit-il être purement électoraliste ? ...

Anonyme a dit…

A vrai dire, je crois qu'on peut tirer avec un discours structurellement logique, toutes les conclusions de ce scrutin que l'on veut pour l'évolution du PS. L'aile gauche arrivera très bien à argumenter que le PS n'as pas été assez doctrinale, l'aile droite arrivera très bien (comme toi :) ..) à argumenter l'inverse. A suivre ..

Anonyme a dit…

Sylvain

Sur ta première remarque : non, mon propos n'est pas uniquement électoraliste. Je ne pense pas que la gauche doive se positionner comme une "gauche décomplexée" pour gagner les élections. Je pense que, au-delà du fait que la "droite décomplexée" de Sarko l'ai aidé à gagner, sa victoire, il l'a constuite dans les têtes avant de la matérialiser dans les urnes. Même si l'homme est médiatique, il a d'une certaine façon pris au sérieux la question doctrinale, surtout au moment où il prônait la rupture. La gauche doit faire pareil, c'est tout : elle doit trancher, d'une façon ou d'une autre, la question doctrinale. Et surtout, de ce fait, il est maintenant prêt à gouverner, de manière cohérente de ce point de vue. Si Ségo avait gagné, sans parti sur lequel s'appuyer, qu'aurait-elle pu donner ? On a vu avec Chirac qu'un président ne pouvant pas s'appuyer sur une base idéologique forte était condamné à l'impuissance.

Alors, bien évodemment, un discours soc-dem, celui que je souhaite, n'est pas a priori le plus susceptible de séduire les ouvriers... mais le discours de Sarko, dans le fond, non plus !

Anonyme a dit…

Sur ta seconde remarque : je pense que l'absence de gisement électoral à la gauche du PS est maintenant indéniable... en tout cas, il est maintenant patent que les nonistes de gauche ont largement sur-interprété la signification politique du rejet hétéroclite dont il n'ont été qu'une des composantes, d'une importante médiatique disporportionnée par rapport à son poids réel.

Donc, l'argumentaire que peut porter la gauche du PS me semble plus fragile.