mercredi 21 février 2007

Ségolène Royal sur TF1 : un nouveau type d'incarnation ?

Au-delà du format, sans doute impropre à stimuler une véritable réflexion politique, il me semble qu’il y a dans le passage de Ségolène Royal sur TF1 lundi dernier matière à réflexion quant au type de relation qu’instaurent les candidats avec leurs électeurs potentiels, et, au-delà, avec le peuple.
Le peuple ? Oui, le peuple : c’est bien lui qui semble avoir été mis en scène lundi, via cette adjonction hétéroclite de personnalités qui, chacune à leur tour, ont livré ce qui ressemblait davantage à des témoignages, fussent-ils poignants, qu’à de véritables interrogations susceptibles de placer la candidate dans une posture où elle aurait dû produire une analyse de la situation du pays et des moyens de l'améliorer. Face au peuple, Ségolène Royal : une guérisseuse, une mère... Bernadette Soubiroux ? Tant et si bien qu’on a pu faire référence au caractère thaumaturge de la guérison qu’elle semble avoir proposé à l’ensemble du corps social au travers de la personne d'un handicapé atteint de la sclérose en plaques (par exemple dans cet excellent billet sur Diner's room). Or faire référence au caractère thaumaturge, propriété des Rois, n’est pas innocent : le sous-jacent est que SR nous proposerait, au-delà du lien que crée l'élection entre l'ensemble des citoyens et leur plus haut représentant, une alliance transcendante d’essence royale (c’est le mot) entre le peuple et son souverain. Ce serait alors non pas le programme qui importe, mais le style de leadership que construit le candidat. Or fonder la relation politique sur une relation entre le peuple et l'homme plutôt que sur une analyse, c'est faire appel au mythe du « Grand homme » : le Grand homme, c'est celui qui, par sa personne et par l'adhésion qu'il emporte auprès du peuple, permet de réaliser les ajustements structurels que personne d'autre que lui n'aurait pu insuffler.

Est-ce nouveau ? Sûrement pas. La France aime les grands hommes, et ceux-ci le lui rendent bien, dans le succès ou l'échec. Voyons certains de ceux qui, bien qu’arrivés au pouvoir non par succession directe mais en raison des espoirs qu’ils avaient suscités chez leurs partisans, ont pu à la fois incarner et réussir un changement. Hugues Capet, désigné notamment pour la faiblesse de ses propres possessions, arrive au pouvoir soutenu par les grands du royaume après une élection pour n’être que leur primus inter pares ; il associe son fils au trône et crée ainsi l’un des rouages de la prospérité pluriséculaire des Capétiens [1]. Henri IV accède au trône presque par hasard ; il mène le pays sur la voie de la réconciliation religieuse. De Gaulle semble resurgir en 1958 comme général de pronunciamiento sur les pavois des ultras de l’Algérie française ; il dépose le bilan de la colonisation et poursuit la modernisation économique de la France. Même Mitterrand a réussi à sa façon : élu sur un programme pseudo-marxiste, il le désavoue (officieusement) 2 ans plus tard, ancre le PS comme parti de gouvernement apte à exercer la charge du pouvoir, et réalise avec l’Acte unique et Maastricht l’unité de l’Europe (sur une base libérale !). Tous ont fait acte de modernité, tous ont suscité au départ des attentes contradictoires sur la base desquelles ils ont accédé au pouvoir, aucun n’a annoncé son véritable dessein, tous l’ont mené au nom du lien qui les unissait à leur peuple, presque à l’insu de ce dernier.

Est-ce transposable ? Possible. Vous me direz, quel est ce grand dessein que le prochain président aurait à accomplir ? Eh bien, adapter les structures du pays aux mutations du capitalisme, prendre acte de ce que la concurrence fiscale, la croissance de la dette, la mondialisation, etc., restreignent les marges de manoeuvre de l'Etat mais également du fait que ce dernier a un rôle moteur à jouer dans l'adaptation du tissu productif du pays, dans sa spécialisation sur les marchés mondiaux... Pour un président de gauche, le défi serait double, puisqu'il faudrait aussi adapter le discours du parti dominant de la gauche à ces mêmes mutations dans l'objectif d'en faire une force de transformation crédible, ayant les bons outils intellectuels pour affronter la modernité. Or je tiens à mon analyse de la première partie du discours de Villepinte [2] : Ségolène semble posséder le bon diagnostic, et en a envoyé des signaux incontestables.

Et enfin, est-ce le cas ? Vous objecterez que Ségolène Royal a, au contraire, adopté une démarche inverse. Qu'elle a fait acte de modestie sur certains sujets, renonçant à se placer dans la posture je veux-je veux de son adversaire. Que les débats participatifs en sont l'illustration. Mais justement, je pense qu'il s'agit là de proposer une nouvelle forme d'incarnation, pas une analyse. Que les débats participatifs agissent en tant que cahiers de doléances, qu'ils permettent de passer du Roi de France à la Reine des Français (acquis de 1789 ?), je ne le conteste pas, mais justement, c'est davantage le type de relation, le type d'incarnation, qui est mis en valeur : voici le type de leader que je serai, faites-moi confiance, je vous mènerai sur les chemins bien fréquentés du progrès. C'est le mythe du grand homme, mais revivifié, mitonné à la sauce Royal (qui a bien appris de Mitterrand). Contrairement à certains, qui voient dans cette posture un déni des réalités et un refus coupable d'annoncer les réformes qui seront nécessaires (ce qui en mène plus d'un à la possibilité Bayrou), il me semble que le pari de cette incarnation est de faire passer la pilule de l'aggiornamento que le PS n'a pas encore totalement réalisé, mais auquel il me semble que SR souscrit plus ou moins officiellement.

Si c’est vrai, on peut objecter qu’il y avait une autre façon de s’y prendre. C’était de se positionner clairement pour la réforme, d’abord à l'intérieur même du PS pour lui faire rattraper son retard conceptuel par rapport à ses voisins européens, lui faire clarifier son rapport au libéralisme, etc. Puis c’était d’affronter le candidat de l’UMP projet contre projet, analyse contre analyse, vision contre vision. C’était, en somme, ce que que dit, a posteriori (ce qui fait quand même une différence), Eric Besson : accepter le réformisme de gauche, le proposer aux Français, se battre pour qu’il triomphe.

Cette méthode n’a pas été suivie ; je pense que c’est dommage. Peut-être l’histoire donnera-t-elle raison à Ségolène Royal. Peut-être la « reine thaumaturge » parviendra-t-elle, si elle est élue, à guérir la France de ses maux, à faire passer les ajustements nécessaires qu'impliquent les mutations du capitalisme sans nous en imposer la douleur de la prise de conscience. Peut-être. Mais, étant de nature assez sceptique à l'endroit des apprentis sauveurs, j'ai le droit de demander pour voir avant de voter.

1 J'assume le côté totalement anachronique de la comparaison avec Hugues Capet, où le "peuple" ne constitue qu'une projection a posteriori
2 J'en poursuivrai l'analyse sous peu, mais ça prend plus de temps que prévu, ces choses-là

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Tu es sympa d'y voir une forme de cohérence ou un dessein, je penche pour l'impréparation. Cf Besson. Et pour ce qui est de l'incarnation, Sarko en propose aussi une.

Anonyme a dit…

l'incarnation de Sarko : un christ en croix oui, matiné de culte de la personnalité, et de baillonement des médias. Le tout en plus avec des revirements d'opinion incessants au point qu'on ne sait même plus ce qu'il pense.

Anonyme a dit…

Pas de programme, des postures. Pas de discours, des "incarnations". Pas de démocrates, des souverains en puissance.
Conclusion : votez Bayrou