mercredi 14 février 2007

Le Roi est mort ! Vive le Roi !

Au moment où, un peu partout, on instruit de procès en ringardise de Jacques Chirac, le candidat de l'UMP n'ayant pas été le dernier à y participer, il est frappant de constater que la rupture dont celui-ci s'est fait le champion laisse de plus en plus la place à un mix entre les revendications classiques de la droite (moins d'impôts) et une forme de gaullisme social que l'hôte de l'Elysée ne renierait pas. Sarkozy, un chiraquien ? Mais non, me direz-vous, c'est un affreux libéral. Vous pointerez que, afin de stigmatiser le danger qu'il est supposé incarner, les opposants à NS aiment à le qualifier que néo-quelque chose. « Néo-libéral » (sur le terrain économique), « néo-conservateur » (politique étrangère), « néo-réactionnaire » (questions de société), voire « néo-fasciste » (immigration, sécurité, délinquance) : quels que soient les sujets, Sarko est un « néo-truc ». Je reviendrai un de ces jours sur ce que m’inspire cette stratégie (et notamment sur le rapport Besson), et la propension de la classe politique à donner du « néo » à tout bout de champ. Mais pour l’instant, s’il y a quelque chose de certain, c’est que le positionnement de Sarko depuis son entrée en campagne n’est rien de tout cela. En fait, et c’est bien pire, s’il faut absolument mettre du néo dans cette histoire, c’est alors de néo-chiraquisme qu’il s’agit.

Je m’explique. L'UMP a beau jeu d’attaquer les propositions de Ségolène Royal, c’est de bonne guerre : s’interroger sur le coût du programme de la gauche, et tancer un parti socialiste sur sa modernité économique, c’est une stratégie classique de la droite dans tous les pays du monde. Pourtant, cela serait encore plus efficace si, côté UMP, le programme avancé était un modèle de vertu. Or force est de constater que le candidat Sarkozy semble plutôt s’inscrire dans les pas de la fracture sociale version 1995, avec son cortège de promesses contradictoires et son "gaullisme social" que l'actuel occupant de l'Elysée a peut-être sincèrement souhaité mais qu'il n'a jamais réussi à traduire en une politique cohérente. Témoin la promesse de réduire de taux de TVA à 5 % pour la restauration (c'était déjà une grosse arnaque de l'ami Chirac en 2002, puisque l'unanimité des 25 est requise au niveau européen sur ce domaine et que l'Allemagne s'y oppose de longue date, ça l'est encore plus maintenant que toute le monde le sait). Témoin aussi sa récente promesse de réduire de 4 points de PIB le taux des prélèvements obligatoires en France : 4 points de PIB, c'est, comme le montre Thomas Piketty, 4 fois le budget de la recherche, ou une réduction de moitié des dépenses de santé. Si l'on est, comme NS, plutôt de l'avis que l'Etat doit continuer à s'occuper de beaucoup de choses (qui a dit que Sarko était libéral ?), c'est complètement irréalisable.
A ce sujet, il convient en outre de préciser que, si le niveau des prélèvements obligatoires en France est effectivement important à l'échelle européenne, ce n'est pas le plus élevé comme on l'entend souvent (en 2002, la Belgique, l'Autriche, la Finlande, le Danemark, la Norvège, et la Suède étaient au-dessus - ce ne sont d'ailleurs pas les pays qui réussissent le plus mal sur le terrain économique -), et que, en plus, ce niveau traduit souvent davantage un choix sociétal (entre ce qui relève du bien public et ce qui doit rester dans le domaine privé) qu'une mesure de l'efficacité de l'état. En France, par exemple, la fonction assurantielle (vieillesse, santé, emploi), absorbe environ 10 % du PIB financé par les prélèvements publics, alors l'assurance sociale est, au Royaume-Uni, largement du ressort de l'assurance privée... Ce qui explique en grande partie pourquoi on est autour de 44 % du PIB en France et vers 38 % outre-manche.

Il n'y a, finalement que deux choix viables : soit le maintien du niveau de prélèvement actuel accompagné d'un amélioration de la productivité de la sphère publique (c'est le choix social-démocrate), soit une baisse du niveau des prélèvements correspondant à une répartition public/privé différente (c'est le choix libéral). Le rôle d'un responsable politique aspirant à la fonction suprême devrait être de proposer un arbitrage. Nicolas Sarkozy, lui, a choisi de ne pas choisir. Son programme s'apparente de plus en plus à un catalogue de propositions hétéroclites visant plutôt l'addition des clientèles que la définition d'une politique dont le pays a pourtant bien besoin.

Alors, est-il vraiment besoin de qualifier Sarkozy de néo-qqch, ou de "gaullo-bushiste", comme y cède sur la fin de son article le pourtant excellent Piketty, pour montrer à quel point son programme économique n'est pas crédible ? Pas forcément. Mais, si comparaison il doit y avoir, pourquoi choisir De Gaulle ou Bush ? en matière de confusion des genres, c'est encore Jacques Chirac la référence.

PS : spéciale dédicace à Laurent

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Tout de même, tout de même, peut-être est-il un peu néo-berlusconien...

Anonyme a dit…

Oui, mais sa 'chiraquisation' semble très récente. Elle daterait de son "J'ai changé" lors de l'intronisation du Roi. Elle semble être une pure posture électorale, et si élu Sarko faisait du Chirac, j'en serais presque aujourd'hui rassuré ... mais les promesses sont faites essentiellement pour animer la campagne et non pas pour gouverner ensuite ..

Ses derniers bouquins, et sorties avant la campagne et son règne de ministre montre plus de chose que son programme actuel et de son positionnement "rassembleur" pour les présidentielles. En particulier qu'il a beaucoup moins de tabous à se revendiquer du libéralisme que Chirac ...

Anonyme a dit…

Sait pas... CHirac était libéral en 86, comme Sarko était libéral en 2005. Quand Sarko a été en poste à Bercy en 2004, il n'a pas mis en place de politique spécifiquement libérale. Alors certes, NS est peut être "spontanément" plus libéral que JC, comme ce dernier le dit dans ses entretiens avec Péan, mais ça reste à voir.

Anonyme a dit…

Effectivement, cataloguer Sarko comme un néo-chiraquien correspond bien à la teneur de son programme. Il a encore renforcé cette impression en s'inscrivant quasiment en droite ligne de la politique étrangère de Chirac récemment.
D'ailleurs le passé a montré que si le chiraquisme n'est certes pas une bonne doctrine de gouvernement, c'est sans aucun doute au moins l'équivalent d'une recette de grand-mère électorale.
Reste à savoir quelle serait l'attitude d'un Sarko élu. Comme tout candidat à l'élection présidentielle, il est face à un choix cynique que Rocard résumait à gauche par "avoir les mains sales avec Mitterand ou pas de mains du tout avec Mendès-France". Bas les masques...