lundi 19 février 2007

L'analyse du discours de Villepinte (1) : où l'on apprend que Ségolène a un programme, du courage, et un diagnostic économique

Je reprends où j'en étais resté hier, et je me lance dans l'analyse du discours. Et première surprise : Ségo commence plein pot sur la dette, et sur un diagnostic économique auquel je souscris entièrement : croissance de la dette et du déficit des comptes sociaux, mauvaise spécilisation de l'appareil productif, déficit du commerce extérieur (ça, en revanche, c'est pas si grave, je ferai un billet dessus un jour), atonie de l'investissement productif. Placer l'entière responsabilité de cet état de fait sur la droite n'est pas très sport, mais ne rêvons pas, on est en campagne électorale, pas au coin du feu chez mémé, et, alors que la France allait plutôt mieux que ses voisins sous Jospin, c'est l'inverse maintenant.

Ce diagnostic est ponctué par des références répétées et soutenues aux PME, à l'innovation, à l'inventivité. Par exemple : « nous sommes un pays d'excellence technologique où pas un jour ne passe sans que les hommes et les femmes se lancent pour donner corps à un projet créateur d'activité, de valeur, et d'emploi. Je suis reconnaissante à ces enterpreneurs du risque qu'ils prennent et qui permet de créer, chaque année, les emplois que la mondialisation financière déplace ». Ou encore : « nous sommes la cinquième puissance économique mondiale. Nous devons ce rang au travail des Français qui innovent, prennent des risques, et travaillent dur ». Décoiffant, non, cet hymne à la puissance économique, dans la bouche d'un candidat socialiste ? En tout cas, commencer par ce thème absolument pas fédérateur alors qu'elle jouait gros sur ce meeting, c'est assez bluffant : elle aurait éructé "le SMIC à 1500 € tout de suite et à bas les patrons voyous" que la salle aurait été en transe de suite. Elle ne l'a pas fait.

On remarque en passant la construction d'un modèle et d'un anti-modèle : le bon entrepreneur, appartenant à une petite entreprise innovante (s'il habitait dans le Poitou, ça serait encore mieux), et qui créé de l'emploi, contre la « mondialisation financière » qui « déplace » les emplois créés par les bons. Comprendre : vous travaillez, ils viennent et pillent (« entendez-vous, dans les campagnes, mugir ces féroces soldats ! Ils viennent jusque dans vos bras, égorgez vos filles et vos compagnes, et vous volez les emplois que vous avez créés »). Cela dit, moquer de ce manichéisme est assez facile, mais point trop n'en faut : la dimension morale du travail est une des bases de l'identité socialiste, et c'est émminement respectable.

Toujours dans le côté novateur, cette critique de l'inefficacité de l'Etat : « nous avons un Etat qui est devenu beaucoup trop lourd (...) il faut en finir avec cette lourdeur de l'Etat central qui engendre toujours plus de textes législatifs ou réglementaires – et des textes qui, bien souvent, sont à la fois illisibles et inutiles ». C'est même un peu gonflé, sachant que Ségo a inscrit au nombre de ses 100 propositions un certains nombre de doublons législatifs (obésité, violences faites aux femmes) ou réglementaires (indices de prix diversifiés). Mais quand même, la réforme de l'Etat est par nature impopulaire, puisque cela signifie qu'il faut augmenter la productivité d'icelui, et là, rien n'est dit sur le comment de la chose (des esprits persifleurs pourraient faire remarquer qu'on devrait y arriver en ne remplaçant pas un fonctionnaire sur deux, mais rassurez-vous, ils n'ont pas droit de cité ici). Perso, je trouve ça très bien, et je pense qu'on peut réformer l'Etat tout en conservant un ratio sphère public / sphère privée similaire : c'est le choix social-démocrate, comme je l'exprimai dans ce précédent billet.

Girondine, personne ne peut plus suspecter Ségolène Royal de ne pas l'être. « Et tant pis pour ce vieux jacobinisme qui est l'un des démons les plus malins de ce pays » : Chevènement appréciera... On peut n'y voir que posture électorale (la province contre Paris), mais je ne crois pas : à gauche, le culte de l'Etat est suffisamment fort pour que la proposition d'une nouvelle vague de décentralisation puisse constituer un pari sans risque. C'est donc qu'elle y tient. Brissot, tu es vengé !

On ne parle plus du « syndicalisme de masse » que Ségo avait appelé de ses voeux lors de la fête de la Rose (lien), mais le dialogue social est mentionné : « créer ce vrai dialogue social qui reste, en France, terriblement archaïque » ou bien « je m'engage à tout faire pour qu'un nouvel essor soit donné à la démocratie sociale et au dialogue social constructif qui va avec ». Il me semble que ce problème est LE problème principal : nous avons le taux de syndicalisation le plus bas de l'OCDE, et encore : le public relève le niveau. Or c'est dans le privé, là où est l'argent, là où se font les profits, qu'il est primordial de discuter, de partager, de construire. Je ne peux donc qu'applaudire frénétiquement à cette proposition.

Last but not least, le rôle dévolu à l'innovation et à la recherche. Tout d'abord, il y les chiffres : orienter les aides aux enterprises vers la recherche, augmenter le budget de la recherche de 10 % par an, mesures fiscales visant « encourager les enterprises à innover et à faciliter leur accès au financement bancaire » (on remarque que, de financement boursier, nulle trace, alors qu'on est dans un économie de plus en plus désintermédiée, mais bon). En tout cas, voilà l'ersatz d'une politique de l'offre, supply-side comme on dit outre-atrlantique. C'est bien : dans toutes les nouvelles théories de la croissance, on distingue bien les politiques de demande (mesures de relance, politiques conjoncturelles), qui visent à rapprocher la croissance de son niveau tendanciel, des politiques de l'offre (mesures d'allocation, structurelles), qui influent sur le niveau tendanciel de la croissace. Et là, pour une fois, on a une politique de l'offre. Oh certes, pas surdimmensionnée, pas démesurée, timide. Mais elle est là quand même. Pour votre serviteur, ce soir, c'est la bonne nouvelle de la campagne.

Voilà pour le côté positif. Mais Ségo peut aussi passer du côté obscur : demain !

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Si la recherche et l'innovation sont effectivement des axes à soutenir car c'est dans ces domaines que nous excellons, je me demande si cela résout ou même participe à la résolution de la question de la création d'emploi... En effet, ce n'est pas parce que l'innovation et la recherche sont réalisées en France que la production restera en France. Dans ce cas, cela ne résout pas le problème de l'ouvrier qui n'a toujours pas d'usine et reste un demandeur d'emploi.

Anonyme a dit…

Billet optimiste. La réalité l'est sans doute moins : le discours réformiste reste isolé, désolé.

Anonyme a dit…

à Arlette : effectivement, sans doute plus difficile de retrouver un emploi lorsque depuis 14 ou 16 ans on est sur une machine et que trop peu de formation en interne ou en cours de travail n'a pas permis d'accéder à d'autres métiers et qu'en plus la seule usine de la région ferme. Le problème de l'emploi et de sa flexibilité n'a pas la même dimension selon que l'on est formé ou pas, cadre ou pas, habitant d'une zone productive ou pas.
Peut-être une suggestion pour pallier aux délocalisations qui concernent effectivement les emplois plutôt ouvriers (en attendant que ça ait une fin car on ne peut pas imaginer que sur le très long terme, l'ouvrier chinois acceptera de se faire sous-payer, on peut peut-être avoir confiance aussi et se dire que les gens en auront peut-être un jour assez de s'acheter des trucs pas cher car un gamin est complètement exploité qq part... encore que c'est peut-être de la naïveté) en attendant, donc, pourquoi ne pas intégrer le coût pour l'environnement dans les biens vendus ? Avec le transport longue distance, certaines entreprises redeviendraient peut-être compétitives malgré leur main d'oeuvre chère ???

Cadence rompue a dit…

@ ²²²²² : Pour le dernier point, OK : internalisation des effets externes (ma marotte)
Pour le début, OK : c'est pour ça que le projet de réforme du budget de l'UE prévoyait de créer un "fond d'aide aux perdants de la mondialisation" (c'est pas le terme exact), car celle-ci a ses gagnants et ses perdants.

Anonyme a dit…

ce que je cherchais, merci